Depuis le début du déconfinement, une nouvelle organisation a été mise en place pour la recherche des contacts des patients contaminés (contact tracing) associant les médecins généralistes, l’assurance maladie et les ARS. Le gouvernement change de stratégie en mettant cette fois-ci en première ligne les professionnels de santé de premier recours.
Les syndicats médicaux en ont toujours voulu à Roselyne Bachelot de ne pas s'être appuyée sur eux lors de la campagne de vaccination de la grippe H1N1.
Changement de stratégie pour cette nouvelle étape de l’épidémie
L’assurance maladie et les organisations syndicales mènent vie commune depuis cinquante ans
Quelles conséquences pour les ARS 2.0 ?
Les syndicats médicaux en ont toujours voulu à Roselyne Bachelot de ne pas s’être appuyée sur eux lors de la campagne de vaccination de la grippe H1N1 !
En 2009, lors de la pandémie grippale H1N1, la ministre de la santé, Mme Roselyne Bachelot, avait fait le choix de faire appel aux médecins et infirmiers des services de l’État - Directions départementales des affaires sanitaires et sociales, - services de prévention (PMI, santé scolaire, médecine du travail) et services municipaux, sans la participation des professionnels de santé libéraux. Parallèlement, était pourtant en préparation la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) visant notamment à renforcer le rôle du premier recours dans l’organisation des soins. Comment justifier le fait que l’on ne fasse pas appel aux professionnels de santé de premier recours, présents sur tout le territoire, pour effectuer des vaccinations en cas de crise sanitaire comme pendant le reste de l’année ? Les syndicats médicaux en ont toujours voulu à Roselyne Bachelot de ne pas s’être appuyée sur eux pour organiser la vaccination de la population. Un peu plus de dix ans plus tard, l’actualité a surtout retenu le fait que la ministre avait alors fait un choix là aussi très contesté de constituer des stocks de masques et de commander des vaccins. Aujourd’hui tous les acteurs reconnaissent qu’elle avait vu juste sur la question des stocks et que ses successeurs auraient dû suivre ce chemin plutôt que de supprimer les stocks de masques. Mais le choix des pouvoirs publics de ne pas s’appuyer sur les praticiens du premier recours est récurrent en matière de santé publique.
En février, quand la pandémie du covid s’est imposée comme une priorité politique, la question s’est de nouveau posée de la bonne organisation pour identifier les cas groupés (cluster) en recherchant les contacts des personnes contaminées pour prévenir l’extension de l’épidémie. Comme lors de la grippe H1N1, le choix a été fait de confier cette tâche aux Agences régionales de santé (ARS) (qui ont remplacé les DDASS). Un certain nombre de praticiens de terrain ont contesté ce choix estimant que les professionnels des agences, éloignés du terrain, n’étaient pas les mieux placés pour effectuer ces investigations. Pas facile en effet pour les personnels des ARS, sans connaître les réalités territoriales, de « pister » les personnes ayant été en contact avec les patients contaminés avec la nécessité, dans tous les cas, de contacter le médecin qui suivait le patient contaminé. Plus largement, les organisations syndicales de professionnels de santé libéraux ont contesté le fait que, dans cette phase initiale, l’accent ait été essentiellement mis par les pouvoirs publics sur la nécessité de protéger l’hôpital d’un risque d’afflux de patients sans stratégie vis-à-vis du premier recours qui a pourtant été en contact avec l’immense majorité de patients porteurs peu symptomatiques du Sars-Cov2.
Changement de stratégie pour cette nouvelle étape de l’épidémie
Cette fois-ci, le gouvernement a changé de stratégie, deux modèles d’organisation distincts ayant été discutés au sein du gouvernement. Certains souhaitaient que l’hôpital ou les pompiers soient les pilotes de ce plan sanitaire, alors que d’autres étaient partisans de s’appuyer sur les professionnels de santé de premier recours. C’est cette deuxième option qui l’a emporté. Le médecin généraliste est le premier maillon de la chaine, le praticien adressant ensuite les coordonnées du ou des patients contaminés sur une application de l’assurance maladie. Celle-ci se charge ensuite de rechercher les contacts du patient, pour assurer un suivi, leur demander de se faire dépister… L’ARS intervient ensuite pour prolonger les investigations pour les éventuels cas groupés (cluster).
Cette option a été partagée avec les différents syndicats médicaux, qui ont publié, ce qui est plutôt rare un communiqué commun. « Lundi prochain s’ouvrira une page nouvelle de l’histoire de notre pays. Les médecins de ville et en particulier les généralistes y prendront une place importante, et relèveront ce défi. » indiquent les signataires de ce communiqué, soulignant avec emphase, toute l’importance qu’ils accordent à ce changement de stratégie. Le Dr Luc Duquesnel, président du syndicat les généralistes-CSMF insiste dans une interview à notre newsletter sur le rôle joué par le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), Nicolas Revel. « Nous le devons à Nicolas Revel qui a eu l’intelligence de s’appuyer sur ce que l’on fait depuis deux mois, à savoir s’autoorganiser sur le terrain avec des prises en charge populationnelle et territoriale dans le cadre d’un exercice coordonné pluriprofessionnel. »
Bien sûr il y a des réserves sur le terrain, et le point de vue des responsables syndicaux n’est pas forcément partagé avec le même enthousiasme par tous les généralistes. Historiquement, les professionnels de santé libéraux ont toujours eu des relations « compliquées » avec l’assurance maladie et considérer tout d’un coup la « sécu » comme un partenaire et non plus comme un contrôleur de l’activité des médecins ne va pas de soi. Par ailleurs, les généralistes peuvent être réticents à transmettre les coordonnées d’un patient ayant les symptômes du covid à l’assurance maladie, à cause des risques concernant le secret médical ! La loi d’urgence sanitaire votée par le Parlement qui a entériné la création de ce dispositif a d’ailleurs été amendée partiellement par le Conseil constitutionnel à propos des conditions d’échanges de ces données entre les professionnels de santé, l’assurance maladie, et l’ARS. Conscient des réelles inquiétudes concernant ces questions, le directeur de la CNAM a présenté à de multiples reprises les conditions réelles de recueil et de transmission des données, les « conseillers » de l’assurance maladie chargés d’effectuer la recherche de contacts, encadrés par un médecin, étant soumis au secret médical. L’assurance maladie sait mettre en avant à cette occasion que ce n’est pas la première fois qu’elle est en contact direct avec les assurés sociaux pour des questions relatives à leur suivi sanitaire, faisant notamment référence au dispositif PRADO de retour à domicile par exemple.
L’assurance maladie et les organisations syndicales mènent vie commune depuis cinquante ans
Une telle alliance aurait été inimaginable il y a encore quelques années, les relations conventionnelles entre l’assurance maladie et les syndicats médicaux ayant longtemps ressemblé à un véritable champ de bataille, concurrence entre syndicats médicaux oblige (Les médecins face à l’État-Patrick Hassenteufel).
Ce rapprochement inattendu ne doit rien au hasard. En 2008-2009, lors de la préparation de la loi Hôpital-patients-santé-territoire (HPST) qui a installé les Agences régionales de santé, l’assurance maladie s’est mobilisée, sans succès, pour empêcher la création des agences, cette disposition privant les caisses d’assurance maladie de certaines de leurs prérogatives. Et si l’heure de la revanche avait sonné ! Car, dans cette affaire, les syndicats médicaux et la CNAM peuvent avoir des intérêts communs.
L’assurance maladie est le « partenaire » historique des organisations syndicales de professionnels de santé libéraux depuis un demi-siècle. La première convention nationale entre l’assurance maladie et les syndicats imposant les mêmes tarifs d’honoraires et de remboursements par l’assurance maladie sur l’ensemble du territoire a été adoptée en 1971, jetant les bases du système conventionnel que nous connaissons encore aujourd’hui. Malgré les guerres qui les ont opposées, le climat s’est apaisé et les différents partenaires ont appris à travailler ensemble au plan national comme au plan local au sein des commissions paritaires qui examinent la mise en œuvre concrète de ces accords, et traitent les éventuels conflits ou abus (commissions disciplinaires).
Initialement, les conventions portaient essentiellement sur les tarifs des actes et le niveau de remboursement par l’assurance maladie. Puis, au fil du temps, elles se sont enrichies de dispositions relatives à l’organisation sanitaire proprement dite : introduction du principe du médecin traitant pour limiter le nomadisme médical, création des rémunérations sur objectifs de santé publique (ROSP), introduction de règles contraignantes pour l’installation des infirmiers libéraux (mais pas pour les médecins).
Depuis la création des ARS (2010), les organisations de professionnels de santé libéraux ont maintenant deux interlocuteurs différents, l’assurance maladie pour les négociations conventionnelles et l’ARS à un degré moindre pour les projets de Maisons de santé, pour soutenir une Communauté professionnelle de territoire de santé (CPTS), pour la permanence des soins... Pourquoi deux interlocuteurs alors que in fine, la convention constitutive pour une MSP ou une CPTS est signée entre l’assurance maladie et les représentants des professionnels de santé. Par ailleurs, les ARS connaissent mal les organisations syndicales car elles ont peu de contact avec elles. Leurs partenaires privilégiés sont les Unions régionales de professionnels de santé libéraux (9 URPS, une par profession de santé), voire des organisations spécifiques pour les Maisons de santé (fédérations régionales des MSP), par exemple, qui peuvent apparaitre comme des concurrents aux organisations syndicales traditionnelles.
Quelles conséquences pour les ARS 2.0 ?
L’après crise n’est pas connu, mais il est difficile de croire que le modèle actuel reste inchangé. Les ARS qui se sont pourtant fortement mobilisées tout au long de la crise apparaissent pour certains comme des boucs émissaires alors que l’assurance maladie ne reçoit aucune critique, n’étant pas directement en prise avec les problèmes d’approvisionnement de masques ou de matériels de protection. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, le poids politique de l’assurance maladie s’est renforcé. En dehors du monde agricole, l’ensemble de la population française est maintenant rattaché au régime général qui a avalé les régimes spécifiques des travailleurs indépendants, des étudiants, et des fonctionnaires d’État (hors Éducation nationale). Personne ne semble s’en plaindre ! L’assurance maladie administre par ailleurs le Système national des données de santé (SNDS) qui lui donne une photographie en temps réel des recours aux soins de la population en ville comme à l’hôpital.
Les organisations syndicales de professionnels de santé libéraux ne sont pas les seules à envisager leur avenir avec une ARS aux missions réduites. Les attentes sont particulièrement fortes également du côté hospitalier qui revendique une plus forte autonomie de gestion, et un régime d’autorisation encore assoupli, les Groupements hospitaliers de territoire organisant à l’échelle départementale la coopération entre les acteurs. On peut donc parfaitement imaginer une Agence régionale de santé 2.0 dans laquelle tout ce qui concerne le premier recours « retourne » à l’assurance maladie… comme avant les ARS ?
* Cette interview a eu lieu avant que soit adoptée la loi d'urgence sanitaire qui a été publiée le 11 mai 2020. Les dispositions relatives au système d'information de traçage des chaînes de contamination sont décrites dans l'article 11.