Le décret du 20 janvier 2025 relatif à l’accès direct des patients aux infirmiers en pratique avancée (IPA) vient d’être signé par le nouveau ministre. Sept ans après la publication des décrets instituant le métier d'IPA, les pratiques avancées commencent à trouver leur place dans le paysage sanitaire, aussi bien en établissement de santé qu’en secteur ambulatoire, premier et second recours.
"L'IPA participe à la prise en charge globale des patients dont le suivi lui est confié par un médecin ou s'adressant directement à lui. "
Décret n°2025-55 du 20 janvier 2025 relatif aux conditions de l'accès direct aux IPA (article R4301-1).
« Il y a une manière très facile d’évaluer l’impact des IPA sur le fonctionnement d’un cabinet de cardiologie. C’est le taux d’hospitalisation et de ré hospitalisation. Les patients ne sont quasiment plus réhospitalisés. En plus, le cabinet fait de la télésurveillance et Loriane Saliège (infirmière de pratique avancée) assure la télésurveillance ce qui permet de détecter précocement les signes de décompensation. Et puis, on a beaucoup moins d’appels de patients qui ne se sentent pas bien… ». Ce témoignage du Dr Madeline Rubini, cardiologue libéral à Nîmes, lauréat des Trophées Outil’IC [1] illustre les bénéfices attendus de la présence d’une IPA libéral dans un cabinet de cardiologie, en terme de qualité des soins.
Les États-Unis et le Canada ont établi la catégorie des infirmières praticiennes au milieu de la décennie 1960, et le Royaume-Uni et la Finlande ont eux aussi une longue expérience de différentes formes de collaboration entre médecins et infirmières [2]. En France, cette profession intermédiaire est née de la loi de modernisation de notre système de santé 2016 (article 119), qui a inscrit la possibilité pour les auxiliaires médicaux (et donc pas seulement pour les infirmiers) d’exercer en pratique avancée, que ce soit au sein d’une équipe de soins primaires ou dans un établissement de santé, les textes d’application étant parus deux ans plus tard, en 2018.
La profession d'infirmier de pratique avancée (IPA) vise à améliorer l'accès aux soins et les parcours des patients, dans un contexte de baisse de la démographie médicale, alors que le nombre de patients suivis pour malades chroniques augmente chaque année. Les infirmiers diplômés d’État qui choisissent ce cursus peuvent espérer une autonomie accrue dans les prises de décisions et dans l’exécution de certains actes, des possibilités étendues de prescription, et un repositionnement dans la chaîne de soins et la hiérarchie des professions de santé. Ce qui peut renforcer l’attractivité de la profession d’infirmier par les débouchés qu’elle offre aux professionnels ayant un peu d’expérience.
Pratiquement toutes les UFR de médecine proposent aujourd’hui ce cursus. L’accès au statut d’IPA s’effectue après une première expérience professionnelle d’au moins trois ans. La formation dure deux années, conférant le grade de master. La première année comprend un tronc commun, la deuxième est centrée sur les enseignements en lien avec la mention choisie, les étudiants ayant accès à cinq mentions différentes :
· Pathologies chroniques stabilisées (PCS)
· Oncologie et hémato-oncologie
· Maladie rénale chronique, dialyse et transplantation rénale
· Psychiatrie et santé mentale (PSM)
· Urgences
Le Ségur de la Santé (négociations ayant lieu à l’issue de la crise du covid19) avait fixé à 5 000 le nombre d’IPA à former d’ici à 2024. Selon le recensement effectué par l’Union nationale des IPA (UNIPA), 2329 ont été formés jusqu’à présent dans les universités françaises. La mention PCS arrive en tête avec 52,5 % des étudiants en deuxième année (2024), devant la Psychiatrie et santé mentale (24,8%), la mention Urgences (9,8%), l’oncologie (8,4%), et la néphrologie (4,6%). Les cinq mentions offrent la possibilité d’un recrutement en établissement de santé, alors que seule la mention « Pathologies chroniques stabilisées » les destine à un exercice en soins primaires.
L’hôpital est ainsi leur premier débouché, avec 1 095 IPA (896 ETP) recensés dans les établissements de santé au 31/12/2023, dont 74,5 % dans les établissements publics (SAE 2023). Au premier échelon, l’IPA de classe normale perçoit un salaire brut mensuel de 2 085,28 euros (3 097,46 en fin de carrière). Pour une IPA de classe supérieure, le salaire brut mensuel au premier échelon est de 2 591,37 euros puis de 3 383,31 euros au dernier échelon (Fonction publique hospitalière).
Les IPA qui exercent en libéral sont rémunérés au forfait, et non pas à l’acte comme les autres professionnels de santé (médecins, infirmiers, kinésithérapeutes…). Leur mode de rémunération est défini par l’avenant 9 à la convention nationale des infirmiers conclue avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam).
Deux formes de prise en charge sont prévues, le suivi au long cours et les soins ponctuels :
Initialement, le modèle économique était relativement défaillant, mais la publication de l’avenant 9 de la convention offre de nouvelles perspectives pour ceux et celles qui choisissent d’exercer en libéral. Jusqu’à présent, l’exercice libéral des IPA était dépendant du « bon vouloir » des médecins de leur confier des patients. Dans les faits, les médecins peuvent être réticents à déléguer certains actes aux infirmiers en pratique avancée [3], les médecins investissant inégalement cette nouvelle profession. Le décret de janvier dernier relatif à l’accès direct des patients aux IPA bouleverse ce modèle, et conforte la profession dans son exercice quotidien.
Les chercheurs de l'IRDES ont recueilli des témoignages d'IPA en exercice [3] : « À un premier niveau, les infirmières (IPA) rapportent que certains médecins se sont montrés enthousiastes à l’idée de travailler avec une IPA, dans la mesure où cette nouvelle organisation du travail est perçue comme un moyen d’accueillir de nouveaux patients, dans un contexte de pression croissante sur leur activité…". Ces nouvelles pratiques ne concernent pas que l'exercice coordonné en MSP. "L’une des personnes interrogées rapporte ainsi qu’elle a commencé à travailler avec un médecin exerçant dans un cabinet isolé, à la suite d’une annonce passée sur les réseaux sociaux, afin de réduire la pression sur son activité ».
Le travail en MSP façonne ainsi chez les médecins généralistes une propension … à déléguer une partie de leur activité à d’autres professionnels installés au sein de la structure, soit en fonction de leur expertise propre, soit car ils sont capables d’assurer des tâches techniques autrefois réalisés par des médecins… Là où les tâches ont longtemps été concentrées entre les mains d’une personne – le médecin –, elles sont aujourd’hui réparties entre différents groupes professionnels ainsi placés en situation d’interdépendance... cette nouvelle organisation du travail vient matérialiser certaines tendances de fond observées dans d’autres structures libérales : le recentrement des médecins généralistes sur des tâches curatives et le développement des missions de santé publique et leur appropriation par des professionnels paramédicaux ».
Le mois de décembre 2022 a été marqué par un important mouvement social chez les médecins libéraux, une partie de leurs attaques concernant la nouvelle division du travail médical en soins primaires et, tout particulièrement, le déploiement des Infirmières en pratique avancée amenées à assumer une partie des actes médicaux.
Sept ans après la publication des décrets instituant la profession d'IPA en France, où en est-on ? L’appareil de formation est maintenant en marche, et déjà un millier d’IPA exercent dans les établissements de santé. Quant au secteur libéral, les exemples ne manquent pas d'une bonne intégration de ces professionnels dans la chaîne de soins. Dernier exemple en date : le pôle libéral de Mayenne, animé notamment par le Dr Duquesnel, président du syndicat CSMF-généralistes, recrute actuellement une troisième infirmière de pratique avancée. Dans un département qui manque cruellement de médecins, les IPA sont devenues une composante à part entière de l’offre de soins ! Les discours démagogiques sur « la médecine sans médecins », sont à l’opposé des réalités de terrain.
[1] Les Trophées Innovation Outil'IC ont été lancés en septembre 2022 par le Conseil National Professionnel CardioVasculaire (CNPCV) et le Groupe Insuffisance Cardiaque et Cardiomyopathies (GICC), avec le soutien de l'Assurance Maladie.
[2] Les pratiques infirmières avancées : Une description et évaluation des expériences dans 12 pays développés. (OCDE-Document de travail n°54-août 2010), Dans ce rapport, publié en 2010, l’OCDE compare les pratiques avancées infirmières au sein de 12 de ses pays membres : Australie, Belgique, Canada, Chypre, États-Unis, Finlande, France, Irlande, Japon, Pologne, République Tchèque et Royaume-Uni. Mais il s’agit d’un diagnostic un peu ancien.
[3] Une analyse du déploiement des infirmières en pratique avancée exerçant en soins primaires sur le territoire francilien - Vincent Schlegel - Irdes, Cresppa-CSU (juillet 2023)
[4] Statistique annuelle des établissements (SAE). Cette enquête renseignée par tous les établissements de santé publics et privés dénombre les effectifs des personnels selon leur statut, ce qui permet de recenser les IPA exerçant dans les établissements publics ou privés.
[5] Site internet de l’Union des infirmiers de pratique avancée.
[6] Décret instituant l'accès direct des patients aux IPA.
François Tuffreau, publié le 7 février 2025
Charles CARO (dimanche, 09 février 2025 09:21)
Bravo pour cet article très intéressant et bien documenté ...