SANTÉ À VOIX HAUTE n°77 - Septembre 2024
Début septembre, Thomas Fatome, le directeur général de la CNAM, et Bruno Lemaire, ministre des finances du gouvernement Attal, ont renouvelé leurs déclarations alarmistes relatives à la croissance des arrêts de travail dont l’augmentation devient financièrement insoutenable. L’Assurance maladie réduit souvent ce problème aux abus éventuels, tout en ignorant l’aspect multidimensionnel démographique, médical et sociétal.
Le directeur général de la CNAM, Thomas Fatome
Pour « maîtriser » le coût de ces arrêts, le directeur général de la CNAM, dans un entretien au journal « les Echos » a visé 7000 médecins « qui prescrivent des arrêts de manière importante ». Derrière cette formulation, on ne peut pas éviter de voir une suspicion à l’égard de ces médecins : délivreraient-ils des arrêts de complaisance ? Ou bien préfèreraient ils rester aveugle face à leurs patients soupçonnables de fraude ?
Pour renforcer son argumentation, Thomas Fatome a évoqué le chiffre de 30 % d’arrêts non justifiés, sur un échantillon de 270 000 assurés sélectionnés en amont du fait de caractéristiques atypiques de leur arrêt. Ce chiffre ne peut donc en aucun cas être extrapolé à l’ensemble des arrêts indemnisés (8,9 millions en 2022). Il n’est pas surprenant que cette déclaration ait été peu appréciée par le corps médical. La politique de maîtrise des coûts s’est traduite pour ces 7 000 médecins par des contrôles qui ont abouti pour certains d’entre eux soit à un « mise sous objectif » (l’obligation de diminuer en pourcentage leurs prescriptions d’arrêt maladie quelle qu’en soit la justification), soit à la « mise sous accord préalable » de toutes leurs prescriptions d’arrêt par le médecin de la Sécurité sociale.
Cette focalisation sur la fraude aux arrêts n’est pas nouvelle, elle revient régulièrement depuis les années 70 avec l’apparition du contrôle patronal des arrêts par des médecins mandatés par les employeurs puis avec les initiatives successives des Caisses d’assurance maladie pour contrôler prescripteurs et bénéficiaires. Ces abus sont inacceptables, mais leur coût reste marginal : les fraudes détectées par la Cnam correspondent à environ un millième de la dépense totale liée aux indemnités journalières. Cet angle d’attaque de l’Assurance maladie qui réduit le problème du coût des arrêts-maladie aux abus éventuels en ignore l’aspect multidimensionnel démographique, médical et sociétal.
Le cout de l’indemnisation des arrêts maladie est de l’ordre de 16 milliards € pour 2024 selon Thomas Fatome. Mais plus que ce chiffre, c’est son augmentation régulière qui inquiète les pouvoirs publics : +56 % entre 2017 et 2022 avec une forte progression (+19%) en 2022.
Mis à part le soubresaut lié au Covid en 2020, cette augmentation a des causes structurelles :
Face à ces causes structurelles de croissance des indemnités journalières, le volet proprement médical, celui de la décision prise par un médecin de délivrer un arrêt à son patient intervient de manière accessoire. La délivrance d’un arrêt de travail est à la fois le constat d’une incapacité médicale à effectuer les taches professionnelles et une prescription thérapeutique au même titre que l’ordonnance de médicaments. Mais contrairement aux médicaments dont la prescription est bien codifiée, l’arrêt de travail et sa durée restent pour le médecin une décision délicate en situation de grande incertitude : l’évolution des pathologies est en partie imprévisible, les réactions individuelles des patients aussi, et les contraintes du poste de travail sont souvent ignorées du praticien. Entre un déménageur et un cadre assis devant son ordinateur, la gamme des exigences physiques et psychiques de nombreuses professions est difficile à imaginer par les médecins traitants. Et les nombreuses pathologies dont le diagnostic repose exclusivement sur la parole du patient comme la dépression, la douleur chronique ou la gastroentérite, ne contribuent pas à graver dans le marbre de la science la décision d’arrêter un patient. Cette marge d’incertitude permet de comprendre en partie les différences d’appréciation entre le médecin traitant et le médecin de l’Assurance Maladie, sans que le désaccord soit le constat d’une fraude.
La HAS propose des référentiels non contraignants de durée d’arrêt par pathologie et selon le degré peu, moyennement ou lourdement pénible de la profession. Ces référentiels ne sont pas toujours aidant pour les prescripteurs confrontés à l’infinité des situations individuelles. Mais ils tendent à être considérés comme une norme opposable aux praticiens.
Enfin, dans ce débat sur les arrêts de travail et l’absentéisme supposé abusif, une notion est souvent oubliée : le présentéisme, c’est à dire le renoncement par les patients à un arrêt médicalement nécessaire. L’importance de ce phénomène est difficile à chiffrer car il ne laisse aucune trace administrative. Mais les médecins ont constaté depuis une quinzaine d’années la croissance de cette réalité autrefois marginale. Trois raisons principales sont évoquées par les patients : la perte de revenu impossible à supporter, le souci de ne pas surcharger les collègues de travail contraints de prendre en charges les taches de l’absent, la crainte d’une pénalisation par l’employeur ou d’un licenciement en particulier chez les travailleurs en situation précaire.
Ce contrepoint à la croissance des arrêts éclaire encore un peu plus la complexité de ce phénomène. La recherche et la sanction des fraudes est légitime mais montrer du doigt les médecins prescripteurs est une curieuse façon de passer sous silence les déterminants de loin les plus lourds d’une dépense sociale nécessaire. C’est du côté du financement de cette dépense que le débat devrait maintenant se tourner.
(1) Rapport de la Cour des Comptes sur le financement de la Sécurité sociale, mai 2024, p 187-217
Jean-Paul Canevet, publié le 27 septembre 2024
Anne Marie Prinet ex MG rural (lundi, 30 septembre 2024 12:22)
Merci Du travail remarquable que Jean Paul Canevet a fait car tous les facteurs évoqués sont la réalité et expliquent le besoin de prescrire des arrêts qui peuvent être de la prévention des burn-out.
La suspicion portée par Bruno Lemaire pour les généralistes , sera un élément de plus pour décourager les jeunes médecins à choisir ce métier pourtant pivot du système de santé