SANTÉ À VOIX HAUTE n°79 - Décembre 2024
Alors que le nombre de passages aux urgences baisse, les durées de prise en charge s'allongent. « Les urgences concentrent … les problématiques de l’ensemble du système de santé, entre d’une part les déserts médicaux qui s’aggravent et leur lot de patients qui affluent faute de prise en charge « en ville », et, d’autre part, un hôpital en tension où les lits manquent, constate Mattea Battaglia, dans Le Monde. En cette fin d’année, les rapports sur le fonctionnement des urgences fleurissent. Nous vous proposons les clés pour comprendre pourquoi les services d'urgence hospitaliers restent au centre de l'actualité.
Au plan national, la Fédération nationale des ORU (observatoires régionaux des urgences), publie chaque année un panorama sur l'activité des urgences hospitalières.
Seul problème, les données des régions Ile-de-France et Corse sont manquantes.
Le nombre de passage dans les services d'urgences (SU) a baissé de 3,5 % en 2023 par rapport à l’année précédente, et se trouve au même niveau que l’année 2016 (voir graphique ci-dessus). Cette inversion de tendance s’explique par un double mouvement. Au printemps 2023, plus des deux tiers des départements ont au moins un point d’accueil qui a mis en place, à un moment donné, un accès régulé aux urgences, et ces fermetures se sont poursuivies pendant l’été (DREES). Par ailleurs, le nombre de passages dans les urgences pédiatriques a baissé de 10 % par rapport à 2022, parallèlement à la baisse de la natalité.
Face aux difficultés de fonctionnement des urgences, les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs, comme en témoigne la forte progression des effectifs des personnels non médicaux : + 80 % depuis 2013, alors que le nombre de passages aux urgences n’a progressé que de 10 % pendant cette période. Mais ces chiffres ne correspondent sans doute pas à la perception des soignants qui constatent au contraire une dégradation de leurs conditions de travail et un allongement des durées de prise en charge.
La médecine d'urgence est une spécialité depuis 2015 (au même titre que la médecine générale ou la cardiologie), mais les SU ne parviennent pas à « garder » leurs praticiens. Pour le Dr Abdo Khoury, vice-président de la société française de médecine d’urgence, « Avant la réforme, les médecins titulaires d’un DESC 2 pouvaient facilement basculer vers la Médecine générale après quelques années aux Urgences. Aujourd’hui, ce n’est plus vraiment possible, ou bien c’est au prix d’un fort renoncement. » Avant, on travaillait 15 ou 20 ans aux Urgences. Cela devient rare : même les professionnels aguerris jettent l’éponge. On doit embaucher des personnels sans expérience, ce qui fragilise encore les équipes. Ces jeunes finissent aussi par partir ». En cause, les modalités pratiques de changement de spécialité qui sont devenues beaucoup plus rigides (Conseil national de l’ordre des médecins).
18,4 % des patients admis dans les urgences générales sont hospitalisés après leur passage, cette proportion étant beaucoup plus importante pour les personnes les plus âgées. « Le nombre d’admissions n’est pas le seul facteur influant la saturation de la structure des urgences », constate la Cour des comptes dans son dernier rapport. Celle-ci résulte même « davantage de l’insuffisance de disponibilité de lits d’aval que d’un excès d’entrées dans le service. Ce constat n’est pas nouveau et illustre les problèmes internes à de nombreux établissements de santé, qui disposent d’un nombre de lits insuffisants pour répondre aux besoins de prise en charge des habitants, et en particulier des plus âgés ».
La plupart des actifs en contact avec le public, qu’ils soient infirmiers, postiers, ou enseignants, sont confrontés à l’agressivité de certains de leurs clients. C’est une source de stress considérable pour les personnels des SU. Les vigiles peuvent être utiles mais il y a aussi d’autre manière d’aborder ces problèmes, en partie liés à l’allongement des durées de prise en charge.
Il faut souligner l’initiative prise par l’hôpital Foch, à Suresnes, qui a rapporté une baisse des tensions ressenties aux urgences à la fois par les patients et les professionnels depuis l'installation au cours de l'été de l'application FollowMe, qui permet d’améliorer l'information des patients et de leurs proches en leur proposant un suivi "en temps réel" de leur parcours de soins (TIC sante). Il est vraisemblable que d’autres initiatives de ce type ont déjà été prises, qui mériteraient d’être plus largement diffusées.
Conduite par les députées Sandrine Rousseau (Les Ecologistes, Paris) et Nicole Dubré-Chirat (Renaissance, Maine-et-Loire), une mission d’information parlementaire vient d’attirer l’attention sur la prise en charge des « urgences psychiatriques ». Les services d’urgence sont en effet le point d’accès pour accéder aux services de psychiatrie en cas d’urgence. Ces admissions représentent moins de 3 % du total des passages mais les taux de recours semblent augmenter fortement la crise du covid19. Certains patients agités mobilisent parfois fortement les soignants, avec les mêmes difficultés que les autres spécialités médicales pour rechercher des lits d’hospitalisation nécessaires. (Le Monde)
La Cour des comptes propose dans son dernier rapport de « Mettre à la disposition des usagers, en continu, les données concernant les urgences telles que les structures ouvertes à proximité de leur localisation, le temps d’attente observé dans celles-ci, le nombre de passages, les services fermés, etc. ».
Pour chaque passage aux urgences, des Résumés de Passage aux Urgences (RPU) sont renseignés, qui constituent une mine d'information. Ces données font l'objet d'exploitations régionales (Observatoires régionaux des urgences-ORU) et nationaux (Fédération des Observatoires régionaux des urgences -FEDORU). La FEDORU publie chaque année un panorama des urgences comme la plupart des ORU. Cette publication met en évidence des taux de recours aux urgences par département variant du simple au double. Seul problème, les données de l’Ile-de-France et de la Corse sont manquantes !!!
Un indicateur de qualité mériterait d’être généralisé et rendu public par les ORU. Baptisé LBE (lits-brancards estimés), cet indicateur dénombre les patients en attente de sortie de la structure des urgences, à un instant donné ; une initiative de l’Observatoire des urgences du grand-est. Au début du mois de mars 2023, la part de LBE parmi l’ensemble des patients présents s’est établie à plus de 40 % dans certains établissements de cette région, et à moins de 10 % dans d’autres.
Techniquement, il est parfaitement possible de mettre en ligne en temps réel un certain nombre d'indicateurs de délai de prise en charge, et de qualité (proportion de LBE par exemple) pour chaque service d'urgences. Mais il y a encore beaucoup de freins pour passer aux travaux pratiques.
François Tuffreau, publié le 14 décembre 2024