SANTÉ À VOIX HAUTE n°77 - Septembre 2024


données de santé

Codage des actes et diagnostics médicaux, l'enfer administratif ?

Philippe Juvin, chef de service aux urgences à l’hôpital Pompidou, dans un message sur le réseau social X, puis Marie-Cécile Renault, dans un article du Figaro, déclarent la guerre à la bureaucratie, soi-disant générée par le codage des informations médicales. Derrière ces propos caricaturaux se cachent un vrai débat autour de la bonne utilisation du temps médical.

 Les établissements de santé publics et privés ont en effet l’obligation, pour chaque séjour hospitalier dans une unité de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), de produire un résumé de séjour, qui contient des données administratives mais également des données médicales (diagnostics et actes).

Les services d’urgences ont, de leur côté, un système de recueil de données propre, comparable au PMSI, le résumé de passage aux urgences (RPU).

Ces deux systèmes sont en vigueur depuis une quarantaine d’années pour le PMSI et 20 ans pour les RPU.

« Tout cela coûte un fric monstre et fait perdre beaucoup de temps » : le « codage » des actes, enfer administratif des médecins ». C’est le titre de l’article de Marie-Cécile Renault, journaliste santé au Figaro, qui a  décidé de s’attaquer à la bureaucratie générée par le codage des informations médicales dans les établissements de santé. Cette attaque en règle est intervenue quelques jours après la publication d’un message de Pr Philippe Juvin, chef de service des urgences de l’hôpital Pompidou à Paris, sur le réseau social X. « Cela prend un temps précieux qui serait plus utile consacré aux malades » (voir ci-dessous). 

Les responsables hospitaliers se sont organisés pour rendre le codage des dossiers le plus transparent possible

Les établissements de santé publics et privés ont en effet l’obligation, pour chaque séjour hospitalier dans une unité de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), de produire un résumé de séjour, qui contient des données administratives mais également des données médicales : le diagnostic principal et les diagnostics associés (codés à partir de la classification internationale des maladies-CIM10), et les actes pratiqués pendant le séjour (codés à partir de la Classification commune des actes médicaux, CCAM), selon les règles du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d’information). L’article de MC Renault introduit une confusion entre ces deux types d’items (diagnostics vs actes) qui n’obéissent pas du tout aux mêmes règles de remplissage.

À partir de ces données, un algorithme permet d’affecter à chaque séjour un tarif, sur la base duquel l’établissement de santé est remboursé par l’assurance maladie, ce que l’on a l’habitude d’appeler la T2A (tarification à l’activité). Un accouchement physiologique sans complications n’est pas un pontage coronarien ! Et il est normal que les praticiens et les établissements puissent être remboursés par l’assurance maladie en fonction de leur activité réelle. Les spécialistes libéraux exerçant en cabinet ont les mêmes obligations, les actes étant répertoriés dans la CCAM, comme pour le PMSI. Comme dans les hôpitaux, les praticiens n’ont pas besoin de connaître l’ensemble des codes, puisqu’ils utilisent en réalité un nombre limité d’entre eux, déterminés par la nature de leur activité.

Les services d’urgences ont, de leur côté, un système de recueil de données propre, comparable au PMSI, le résumé de passage aux urgences (RPU). Ces deux systèmes sont en vigueur depuis une quarantaine d’années pour le PMSI et 20 ans pour les RPU.

Face à cette charge supplémentaire, les responsables hospitaliers se sont organisés pour rendre le codage des informations le plus transparent possible : en générant ces codes de manière plus ou moins automatique, à partir des codes les plus fréquemment utilisés dans le service (favoris) ou des thesaurus simplifiés, ou à l’aide de logiciels spécialisés. La société française de médecine d’urgence a par exemple produit un thesaurus simplifié pour les praticiens. Certains établissements ont choisi le codage centralisé au sein du Département d’information médicale (DIM) ce qui simplifie le travail des services de soins et garantit une meilleure qualité… Bref, tout un système s’est mis en place depuis des années.

Contrairement à ce que laisse entendre la journaliste du Figaro, le codage des diagnostics et des actes médicaux n’est absolument pas une spécificité française, et concerne de nombreux pays européens. Aux États-Unis comme au Canada, les responsables hospitaliers ont vite compris que le temps médical devait être utilisé au mieux. Un nouveau métier a été créé, celui de scribe médical (medical scribe) (Le médecin du Québec, Scribe canada, wikipedia).

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L'enjeu mondial de l'analyse des données de santé

Bien au-delà des seules informations recueillies de manière obligatoire (PMSI, RPU), il n’y a pas d’activité de soins sans constitution d’un dossier médical dans lequel les personnels soignants enregistrent des données cliniques sur l’état du patient, le résultat des différents examens… ces données étant notamment utilisées pour échanger avec les autres médecins en charge du patient, et en terme de traçabilité. Le recueil de l’ensemble de ces données représente un temps bien supérieur au seul codage du diagnostic et des actes.

En quelques années, la mobilisation des données de santé est d’ailleurs devenue un enjeu mondial. Les géants de l’informatique mobilisent des moyens très importants pour exploiter ces données. La constitution de cohortes de patients rassemblant leurs données cliniques, et les caractéristiques de leurs recours aux soins étant dorénavant un enjeu de compétition internationale. Ces bases de données anonymisées permettent notamment de faire des recherches pour inventer les médicaments de demain, grâce notamment à l’intelligence artificielle. Les grands hôpitaux français ont d’ailleurs commencé à constituer des entrepôts de données pour en faciliter l’accès aux chercheurs ; dernier en date, le CHU de Montpellier. France s’est dotée d’un organisme spécialisé pour faciliter l’accès des chercheurs à ces différentes bases, la plateforme des données de santé : health data hub. Comment peut-on remettre en cause le codage des diagnostics dans les hôpitaux alors que ce mouvement de constitution d’entrepôts de données gagne de nombreux établissements de santé. Le propos du Pr Juvin semble en complet décalage avec les réalités actuelles.

le combat peu convaincant du pr juvin contre la bureaucratie

Interroger le temps passé par les médecins à coder les données de santé c’est en réalité questionner la bonne utilisation du temps médical. La nécessité de décharger les praticiens des nombreuses tâches administratives qui leur incombent est aujourd’hui reconnue comme une priorité.

Le combat du Pr Philippe Juvin contre la bureaucratie serait plus convaincant s’il pouvait nous expliquer comment il a pu concilier au cours des 20 dernières années, son activité de praticien hospitalo-universitaire, chef de service des urgences (soins+enseignement+recherche), avec ses nombreuses fonctions électives (maire, conseiller général, conseiller régional, député européen et dernièrement député), et son activisme politique, sans oublier ses nombreux passages dans les médias. Le Dr Juvin a en effet été maire de la Garenne-Colombes, ville de 30 000 habitants, jusqu’en 2022, poste qu’il a abandonné suite à son élection comme député. Sa tentative de prendre la présidence du parti les Républicains (2021) a sans doute aussi mobilisé son emploi du temps, sans succès (le Pr Juvin a été éliminé dès le premier tour de la primaire avec 3,1 % des voix). Avec un tel agenda, il est légitime que le Pr Juvin s’interroge lui-même sur la bonne utilisation du temps médical*.

*À ce propos, on peut lire l'article paru dans le Monde du 5 mai 2023 relatif à une plainte déposée par des militants de la CFDT envers la mairie de la Garennes-Colombe, dans lequel il est question du temps de travail du Pr Juvin.

François Tuffreau, publié le 24 septembre 2024



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