Pendant des années, l’Assurance Maladie (AM) a été considérée comme un assureur « aveugle » remboursant les dépenses de soins, en l’absence de connaissance de leur contenu précis. Cette période est aujourd’hui révolue, et la publication annuelle du rapport de l’AM, préparatoire au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), est un moment très attendu, grâce aux multiples analyses qu’il contient. Morceaux choisis.
« Le rapport « Charges et Produits 2025 » publié chaque année par la CNAM lui permet de formuler des propositions concrètes d’économies pour respecter les objectifs de dépenses d’assurance maladie et garantir ainsi le maintien d’un système de santé solidaire, performant et soutenable. Elle y énonce également des propositions complémentaires destinées à améliorer la qualité et l’efficience du système de santé ».
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) est le rendez-vous annuel structurant du système de santé, et, plus généralement, du système de protection sociale. Son principal enjeu est évidemment financier avec l’adoption du budget prévisionnel de la sécurité sociale pour ses différentes branches ; retraite, maladie, allocations familiales, accidents du travail. En ce qui concerne l’assurance maladie proprement dite, le projet de loi contient en sus des dispositions nouvelles relatives à l’organisation des soins. L’Assurance maladie fournit, en amont, avant l’été en général, un rapport qui rassemble des quantités d’informations relatives au système de soins. Le rapport « charges et produits » contient également des propositions susceptibles d’être intégrées dans le PLFSS. Morceaux choisis !
En matière de prévention, deux innovations majeures sont au programme de l'Assurance maladie ; le lancement de « Mon bilan prévention » et la réorganisation du pilotage des dépistages organisés des cancers.
« Mon bilan prévention ».
« Mon bilan prévention » fait partie des nouveaux outils mis en place à partir de 2024, pour améliorer le dépistage des maladies chroniques aux différents âges de la vie, à l’occasion d’un entretien avec un professionnel de santé. Au programme de l’AM en 2024-2025, figurent la promotion de cette action auprès des médecins généralistes par voie électronique et grâce à des visite des délégués de l’AM. Mais il faudra attendre sans doute plusieurs années pour mesurer les effets réels de ce programme très ambitieux dont l’efficacité fait débat.
Les campagnes de prévision des dépistages piétinent
Une réorganisation du pilotage des dépistages organisés des cancers est mise en œuvre depuis le début de l’année 2024 suite à l’arrêté du 16 janvier 2024 relatif aux programmes de dépistages organisés des cancers. Dorénavant l’AM est en charge du pilotage des invitations à participer à un dépistage organisé (DO) des cancers, missions dévolues jusqu’à présent aux Centres Régionaux des Dépistages des Cancers (CRDC), et à leurs délégations départementales. Les missions des CRDC sont recentrées sur le suivi des « résultats positifs » pour l’ensemble des programmes de dépistages organisés, d’information et de formation des professionnels de santé.
Le ministère n’a pas voulu trancher : l'évaluation épidémiologique de l'impact des programmes de dépistages organisés des cancers a été confiée à Santé publique France, tandis que l’Institut national du cancer est chargé de l’évaluation organisationnelle et opérationnelle de la performance de ces programmes.
Cette nouvelle organisation sera-t-elle plus efficace pour améliorer le taux de participation aux différentes campagnes de dépistage alors que la France fait partie des pays qui ont les taux de dépistage les plus faibles au regard des objectifs européens ou de la moyenne observée parmi les pays de l’OCDE ?
Par ailleurs, l’arrêté du 16 janvier 2024 relatif aux programmes de DO des cancers prévoit que les personnes à risque aggravé bénéficient d’un suivi personnalisé, alors qu’actuellement le dépistage, organisé à destination des personnes à risque moyen, repose sur une stratégie identique pour tous.
Prévenir les réhospitalisations pour insuffisance cardiaque
Première cause d’hospitalisation après 65 ans, l’insuffisance cardiaque est à l’origine de 70 000 décès par an, indique l’AM. Avec 1,5 million de patients diagnostiqués et 120 000
nouveaux cas chaque année, l’IC fait partie des problèmes de santé qui mobilisent fortement le système de soins.
La proportion de sujets bénéficiaires d’une prise en charge dans les établissements de Soins Médicaux et de Réadaptation (SMR), atteint à peine 10% dans les trois mois suivant la sortie de secteurs de soins aigus. Il existe donc une marge de progression notable sur ce volet, note l'assurance maladie, pour optimiser le parcours de soins des patients insuffisants cardiaques.
Une bonne nouvelle toutefois, le nombre annuel de cas incidents demeure globalement stable depuis 2019, avec une proportion moindre, en 2022, de cas entrant dans la pathologie sur un mode aigu avec hospitalisation. L'assurance maladie y voit les effets de son programme d’accompagnement du parcours de soins de l’insuffisance cardiaque (IC) qui s’est progressivement déployé à partir du second semestre de l’année 2021. Avec notamment les campagnes « EPOF » (portant sur la reconnaissance des signes et symptômes de l’insuffisance cardiaque »), ou en soutien des professionnels de santé de terrain (« boites à outils » de coordination et organisation des soins…).
L'AM souhaite également apporter son soutien au développement de la télésurveillance de l’insuffisance cardiaque, afin de favoriser la transition hôpital- suivi en secteur ambulatoire.
Le document phare de l'assurance maladie aurait sans doute plus d'impact si ces différents sujets étaient accompagnés de données permettant de mesurer leur degré de mise en œuvre sur le terrain. Par ailleurs, l'AM ne fournit aucune donnée d’évaluation externe, selon le point de vue des professionnels de santé, ou des personnes concernées.
Parmi les nombreuses informations figurant dans ce rapport, on peut citer également l'analyse de l'AM à propos de l'évolution des recours aux médicaments psychotropes des moins de 25 ans.
Environ 7,1 % jeunes de 12-25 ont bénéficié d’une délivrance de psychotropes de 2015 à 2020, avant l’épidémie. Entre 2019 et 2023, ce taux a augmenté de +15 %, jusqu’à 8,1 % en 2023, alors qu’il a diminué de -1 % chez les 26-60 ans. Cette croissance chez les moins de 25 ans s’observe pour l’ensemble des catégories de psychotropes.
Cette croissance du nombre de jeunes ayant bénéficié d'une délivrance de psychotropes se traduit par une très forte augmentation de la délivrance de ces médicaments : + 55 % pour les antidépresseurs (pour mille jeunes de 12-25 ans entre 2019 et 2023), + 50 % pour les hypnotiques et + 35 % pour les antipsychotiques. Les jeunes filles sont à l’origine de l’essentiel de la dynamique observée.
Le rapport de la CNAM contient également des analyses thématiques relatives à la rentabilité des laboratoires de biologie médicale, à la régulation des dépenses de transport, à la financiarisation du système de soins, à la décarbonation du système de santé… mais aussi à « la santé des femmes ».
Comme le souligne d’emblée les auteur(e)s, « La littérature scientifique, qu’elle soit institutionnelle ou académique, française ou internationale, pointe certains leviers d’amélioration ainsi que les opportunités offertes par un investissement spécifique sur la santé des femmes. » Un investissement spécifique sur la santé des femmes est nécessaire, ce qui n'est pas contestable.
Il faut toutefois rappeler que 27% des décès masculins ont lieu avant 65 ans contre seulement 13% des décès féminins. Dans certains quartiers populaires, 30 à 40 % des décès masculins ont lieu avant 65 ans. Cet indicateur devrait figurer au fronton des politiques de prévention. Mais d’année en année, rien ne change, car la « santé des hommes » n’est pas un « sujet d’étude », pour la CNAM comme pour l'ensemble des acteurs.
Une des fonctions de ce rapport est de soumettre un certain nombre de propositions susceptibles d’être prises en compte dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) à venir. Mais cette année, son calendrier d’élaboration est complétement bouleversé, en l’absence de gouvernement formé à l’issue des élections législatives du mois de juin dernier.
Traditionnellement, le vote du budget de la sécurité sociale fait partie des sujets qui divise profondément les différents partis politiques. Cette année, les échanges autour du PLFSS risquent d'être profondément agités tant les divisions sont fortes entre les différents partis politiques.
D’un côté, les partis du Nouveau front populaire et le Rassemblement national veulent abolir la réforme des retraites (la position du Rassemblement national a évolué entre le premier et le deuxième tour des élections). De l’autre, les partis de droite et l’ancienne majorité politique ne souhaitent surtout pas remettre en cause ladite réforme, sachant qu'en ouvrant la boite de pandore, les revendications risquent de se multiplier à l'envi. Abolir ladite réforme est une chose, mais par quoi la remplacer ?
Du côté de l’Assurance maladie, les perspectives financières ne sont pas brillantes non plus. L’équilibre des comptes de l’assurance maladie était presque atteint en 2018-2019. Mais, après une brutale hausse des dépenses et un déficit de 30 milliards € en 2020, et 26 milliards en 2021 suite à l’épidémie de covid19, le déficit atteint 11 milliards € en 2023. Un niveau équivalent est attendu pour l’année 2024.
En l'absence d'alliance politique majoritaire à l'Assemblée nationale, il sera donc impossible d'adopter le PLFSS 2025, sans que le futur exécutif ait recours au 49.3. Un air de déjà-vu !
François Tuffreau, publié le 29 août 2024, modifié le 1er septembre.