La Cour considère que la plupart des URPS exercent globalement leur mission mais dénonce aussi le fait que certaines d’entre elles n’ont aucune existence réelle. Des anomalies de gestion sont également relevées. Par ailleurs, dans un certain nombre de cas, le fait que les membres des URPS soient élus sur liste syndicale paralysent l’action de certaines Unions.
Les Unions régionales de professionnels de santé libéraux (URPS)
Rapport de la Cour des comptes, 4 février 2024
Méthode d'investiga-tion de la Cour des comptes
Le contrôle de la Cour a porté sur un échantillon de 25 unions représentant 9 professions et situées dans 11 régions ou collectivités.
La Cour a analysé les 59 réponses au rapport d’observations provisoires ou à ses extraits communiqués aux présidents des organismes contrôlés, aux administrations concernées, ainsi qu’à divers tiers mis en cause par le rapport.
Cinq organismes n’ont pas répondu à la Cour dans la phase de contradiction.
Des entretiens de fin de contrôle ont eu lieu entre le 15 et le 30 mai 2023 avec les présidents des URPS, la direction de la sécurité sociale et l’Acoss.
Par opposition au système hospitalier qui dispose d’un système de représentation fortement structuré autour des grandes fédérations hospitalières, la représentation des professionnels de santé libéraux est restée éclatée pendant des décennies.
La création des Agences régionales de santé en 2010 a changé la donne. Dans la mesure où le système de décision en santé était transféré en partie au plan régional et local, il était essentiel pour les ARS d’avoir en face d’elles des organisations avec lesquelles elles pouvaient dialoguer.
Les médecins libéraux disposaient déjà d’une Union professionnelle - l’Union régionale de médecins libéraux (URML)- créée en 1993.
Les Unions régionales des professions de santé (URPS) des autres professions ont vu le jour une quinzaine d'années plus tard - en même temps que la création des ARS - pour les pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, chirurgiens-dentistes, orthophonistes, pédicures podologues, biologistes, sages-femmes et orthoptistes (2010).
La plupart des URPS exercent globalement leurs missions
La Cour des comptes dresse un bilan plutôt flatteur des URPS médecins, infirmiers et pharmaciens et, dans une moindre mesure, masseurs-kinésithérapeutes. Ces unions sont « celles qui exercent globalement le mieux la diversité de leurs missions, même s’il existe des différences importantes d’une union à l’autre. Ces quatre types d’unions sont des interlocuteurs reconnus des ARS, avec qui elles ont dans la plupart des cas conclu des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens ». Bénéficiant de leur antériorité historique et des budgets les plus élevés, « les URPS médecins sont impliquées dans davantage de projets. Elles sont parties prenantes des dispositifs de permanence des soins ambulatoires, en appui de l’ordre des médecins ».
« Les unions, notamment médecins et masseurs-kinésithérapeutes, se sont investies dans des actions permettant de trouver des remplaçants, d’accompagner les professionnels en difficulté et d’aider à l’installation de nouveaux confrères. Elles sont devenues des partenaires des ARS pour mettre en œuvre des actions de prévention ou lutter contre les problèmes de démographie médicale et paramédicale, très présents dans les projets régionaux de santé. Ces URPS sont également impliquées dans la mise en œuvre d’une offre de soins coordonnés au niveau territorial » ... « Elles ont ainsi été des acteurs du développement des maisons de santé pluriprofessionnelles et des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ».
« Le déclenchement de la crise sanitaire de la Covid 19 a conduit certaines unions à jouer un rôle peu anticipé jusque-là, en acquérant et distribuant par exemple des équipements de protection individuelle. Elles ont généralement été étroitement associées par les ARS à la gestion de la crise. Les agences leur ont attribué des financements pour mettre en œuvre diverses actions, en particulier au titre du suivi des patients souffrant de la Covid 19 et de la politique vaccinale. Les URPS infirmiers ont ainsi joué un rôle important pour les visites au domicile des patients positifs au virus Sars-CoV-2.
Mais la Cour des comptes propose de supprimer certaines d'entre elles
Mais derrière ce portrait plutôt flatteur se cache des situations beaucoup moins florissantes. Un cinquième de l’échantillon de la Cour est en effet constitué d'Unions qui ne mènent pas ou mènent très peu d’actions. La Cour envisage purement et simplement la suppression de certaines Unions, comme les URPS biologistes, orthoptistes et pédicures-podologues, dont la grande majorité n’a pas ou très peu d’activité.
La Cour note également la sous-activité des unions chirurgiens-dentistes, de leurs disponibilités bancaires pléthoriques et de leurs faibles besoins de financement identifiés. Elle propose même une diminution de leur taux de contribution aux URPS de 0,3 % à 0,1 %.e partie de l'interview à paraître en janvier 2024."
Des fonds propres très élevés
Les URPS sont financées essentiellement par une contribution individuelle obligatoire de chaque professionnel de santé libéral, la Curps (contribution aux URPS), recouvrée par l’Urssaf territorialement compétente, selon un pourcentage du revenu d’activité retenu pour le calcul de l’impôt sur le revenu. Ce pourcentage varie de 0,50 % pour les médecins à 0,30 % pour les chirurgiens-dentistes, pharmaciens et directeurs de laboratoires et 0,10 % pour les infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, sage-femmes, orthophonistes et orthoptistes. Le montant de la contribution ne peut excéder 232 € pour 2024.
Les montants collectés s’élèvent à 40,6 millions € par an en moyenne pour l’ensemble des URPS entre 2018 et 2022. Les Unions peuvent également bénéficier des crédits du Fonds d’intervention régional (FIR) des ARS (13,6 M€ en moyenne annuelle).
Fin 2021, les fonds propres des URPS de l’échantillon élargi permettait de couvrir plus d’une année et demie de charges d’exploitation et représentaient près de trois années de Curps. De manière générale, les unions disposent d’une trésorerie suffisante pour financer leurs projets, leurs fonds propres et disponibilités dépassant largement ce besoin.
Les budgets des URPS servent notamment à indemniser les élus qui peuvent se faire rembourser leurs frais de déplacement et de séjour et percevoir une indemnité forfaitaire destinée à compenser la perte de ressources entraînée par leurs fonctions ou « indemnité de compensation de la perte d’activité (ICPA) ». Dans l’échantillon de la Cour des comptes, un médecin membre d’une union percevait en moyenne près de 8 900 € par an au titre de ses fonctions dans l’URPS, tandis qu’un orthoptiste moins de 300 €. Les indemnités versées par les URPS aux médecins et aux infirmiers varient du simple au quadruple selon les régions.
Des opérations immobilières qui cachent parfois l’inaction des Unions
« L’aisance financière des Unions les plus importantes a pu induire des phénomènes de thésaurisation et des politiques immobilières disproportionnées au regard de leurs objectifs et dont l’utilité par rapport aux missions n’est pas toujours assurée », affirme la Cour. Certaines opérations immobilières ont parfois été leur principale activité …
« Par ailleurs, les URPS sont des pouvoirs adjudicateurs et, à ce titre, doivent respecter le droit de la commande publique, en particulier les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Or, elles ne le font qu’exceptionnellement, se bornant à des mises en concurrence allégées, quand du moins celles-ci existent ».
Les batailles syndicales paralysent le fonctionnement de plusieurs URPS
Parmi les 10 unions, six bénéficient d'élections locales organisées dans chaque région par les ARS. Lors des dernières élections (2021), le taux de participation des 6 URPS concernées est en recul par rapport au scrutin précédent, avec seulement un quart des professionnels inscrits ayant exprimé leurs suffrages. Ce taux peut paraître faible mais il n’est pas différent du taux de participation aux élections prudhommales de l’ensemble des salariés du secteur privé.
Chez les Unions de médecins libéraux qui ont la plus grande ancienneté, le taux de participation est en net recul ; 23 % en 2021 contre 39,9 % en 2015 et 46 % en 2006. Une enquête de notoriété serait nécessaire pour évaluer la perception que les médecins libéraux ont de leur Union.
Pour les Unions de pharmaciens et de chirurgiens-dentistes, créées plus récemment, le taux de participation approche les 50 %, pour le moment.
Pour les professions de faible effectif (moins de 20 000 membres au plan national) - pédicures-podologues, sage-femmes, biologistes et orthoptistes, les listes sont constituées au plan national par les syndicats jugés représentatifs.Sur le plan électoral, il faut distinguer les Unions professionnelles, dont les membres sont élus au plan local, et les autres. En effet, pour les professions dont le nombre de membres sur le territoire national est inférieur à 20 000 professionnels (sages-femmes, orthoptistes, biologistes et pédicures podologues), leurs membres sont désignés par leurs organisations syndicales reconnues représentatives au niveau national.
Ces élections représentent un enjeu important, dans la mesure où elles constituent un des critères de la représentativité nationale des syndicats habilités à participer aux négociations conventionnelles.
Pour la Cour des comptes, « Pour les professions dont la représentation syndicale est fragmentée, notamment les médecins libéraux, les infirmiers, les chirurgiens-dentistes et les masseurs-kinésithérapeutes, il peut en résulter une exacerbation des conflits syndicaux au niveau régional, aux conséquences contreproductives pour la suite de l’activité des URPS. Les élections aux URPS se jouent en fonction d’enjeux nationaux davantage qu’en fonction d’enjeux régionaux. Loin d’encourager la recherche d’un consensus intersyndical dans l’exercice des missions, ce scrutin conduit fréquemment à l’inverse à créer un fonctionnement avec une majorité en responsabilité et une minorité en opposition ».
« Or le mode de scrutin ne permet pas la constitution de majorités fortes au sein des assemblées générales, alors même que toutes les décisions de ces dernières doivent être prises à la majorité des membres présents, sauf dans les cas où une majorité qualifiée est requise ».
Lors des élections de 2021, aucun syndicat de médecins n’a atteint la majorité absolue dans chacun des deux collèges des généralistes et des spécialistes. Le fait que les deux syndicats ayant réuni le plus de voix soient mono-collèges (MG-France pour les généralistes et Avenir spé - Le Bloc pour les spécialistes) a renforcé la nécessité de nouer des alliances syndicales qui diffèrent selon les régions.
La communication de certaines unions reflète un glissement vers le champ syndical, affirme la Cour. Cette posture est particulièrement fréquente pour les URPS de médecins libéraux et la Conférence nationale qui les réunit. Fin 2022, des URPS biologistes ont relayé des revendications syndicales lors de la grève nationale des laboratoires de biologie médicale, comme en AuRA, Paca ou Occitanie. Il en est allé de même pour l’URPS sage-femmes Grand Est.
Cette porosité avec l’action syndicale conduit certaines « URPS ML, comme celles d’Occitanie, d’Île-de-France, des Hauts-de-France ou de Paca » à allouer « des dotations spécifiques à des groupes d’élus de l’URPS appartenant à un même syndicat …
Ces groupes syndicaux bénéficient ainsi de budgets dédiés de montants parfois très significatifs, avec des dotations annuelles variant de moins de 10 000 € (Hauts-de-France en 2021) à plus de 500 000 € en Ile-de-France. Le financement des groupes syndicaux au sein des URPS constitue une opération étrangère aux missions de ces dernières, qui est une pratique proscrite, affirme la Cour. Dans sa recommandation n°4, la Cour demande aux Unions concernées de mettre fin sans délai au financement des groupes syndicaux, d’affecter les reliquats budgétaires au budget général des URPS et de récupérer les sommes indûment versées si leur objet était étranger à celui des URPS.
Des contrôles internes et externes peu fréquents
« La loi a institué, au sein des URPS, une commission de contrôle, composée de trois à six membres de l’assemblée non membres du bureau, élue chaque année par l’assemblée. Elle procède aux contrôles et investigations comptables et financières et présente à l’assemblée, lors de la séance annuelle consacrée à l’approbation des comptes, un rapport concernant la gestion de l’union et les comptes de l’exercice et comportant un état détaillé des recettes et de leur origine. »
« Sur le panel de 21 URPS concernées, seules 13 ont pu transmettre les rapports annuels de la commission de contrôle sur l’ensemble de la période sous revue. » « Selon la règlementation en vigueur, le budget, les comptes annuels et le rapport de la commission de contrôle doivent être communiqués aux directeurs généraux des ARS. Même si le contrôle susceptible d’être exercé par ces dernières n’est pas spécifié et suscite des craintes de certaines URPS, cette formalité est rarement respectée. Il en est de même s’agissant des rapports d’activité des URPS, que les ARS doivent mettre en ligne sur leur site internet. Les ARS ne demandent quasiment jamais ces documents ». Les ARS versent ainsi des crédits du FIR aux URPS sans s’assurer que leurs obligations légales soient respectées.
Les Unions professionnelles sont indispensables au fonctionnement du système de santé. Beaucoup ont apporté la preuve de leur engagement pour améliorer l'organisation sanitaire ... mais beaucoup reste à faire. Cette porosité entre l'activité syndicale et l'animation d'unions professionnelles financées par des cotisations individuelles est sans doute inévitable. Mais, visiblement, certaines Unions sont allées bien au delà de ce qui relève de leurs missions. Pour être crédibles, les Unions professionnelles ont tout intérêt à clarifier la situation actuelle.
François Tuffreau, le 13 février 2024