La Convention pour la fin de vie vient de rendre ses conclusions pour faire évoluer le dispositif législatif de la fin de vie. Un nouvel exemple de participation citoyenne aux débats de santé, qui marginalise les instances traditionnellement dédiées à cette mission.
Aujourd’hui, l’enthousiasme des pionniers est retombé,
et l'édifice de la Démocratie sanitaire, qui fut un temps particulièrement dynamique, est actuellement marginalisé. Le début de la crise sanitaire du Covid-19 a révélé un usage quasi-inexistant, par les pouvoirs publics, des instances de démocratie en santé dans le processus de gestion de crise. Plus récemment, la Convention pour la fin de vie vient de rendre ses conclusions, sans que la Conférence de santé soit associée à cette réflexion.
« Démocratie sanitaire », la loi « Kouchner » du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a gravé cette expression … dans le marbre du Journal officiel, marquant l’aboutissement de la construction d’un édifice normatif consacré à l’affirmation des droits individuels (droit à l’information, au respect du secret médical, à l’accès au dossier médical, au consentement…) et droits collectifs (démocratie participative) des usagers. (Didier Tabuteau)
La loi reconnaît ainsi aux usagers le droit de participer au fonctionnement du système de santé, aux différents échelons de décision – national, régional et départemental-. Au fil du temps, s’est ainsi construit un édifice à trois étages avec la Conférence nationale de santé (CNS), les Conférences régionales de la santé et de l’autonomie (CRSA), et les Conseils territoriaux en santé.
La CNS et les CRSA comprennent une centaine de membres chacune, essentiellement des représentants du secteur de la santé (associations d’usagers, représentants du monde hospitalier et des professionnels de santé libéraux ou des établissements pour personnes âgées et/ou handicapées, organisations syndicales, collectivités territoriales...). On désigne parfois la CNS comme le « Parlement de la santé ».
CNS et CRSA doivent publier chaque année un rapport sur les droits des usagers. Ces assemblées consultatives donnent leur avis sur les priorités de santé gouvernementales (CNS) ou régionales (CRSA, conseils territoriaux). Elles contribuent également à organiser le débat public.
Les conseils territoriaux ont un profil un peu différent dans la mesure où les élus y sont largement représentés (sénateurs, députés), contrairement à la composition de la CNS et des CRSA. Leurs missions sont plus réduites, les conseils n’ayant pas en charge le débat public. (Code de la santé publique).
La première CNS a été instituée par le plan Juppé (1996), avec comme premier président le Pr Joël Ménard. À sa création, elle avait pour mission de remettre au gouvernement son analyse des données relatives à la situation sanitaire de la population et à l’évolution de ses besoins de santé et de proposer des priorités pour une politique de santé publique. Puis cette mission lui a été retirée et confiée au Haut conseil en santé publique.
Les Conférences régionales de santé (le mot autonomie a été rajouté récemment en référence aux politiques en faveur des personnes en situation de handicap ou de dépendance) ont été généralisées en même temps que la CNS. Leur création a soulevé un certain enthousiasme traduisant la naissance d’une dynamique d’actions de santé publique régionale. Pour la première fois dans l’histoire du système de santé, la politique de santé régionale pouvait être réfléchie globalement, pour l’ensemble des composantes du système de santé, pour « la ville » et l’hôpital, pour le soin comme pour la prévention. Les principales données statistiques concernant l’offre de soins et l’état de santé des populations étaient accessibles, mettant en évidence les inégalités territoriales et sociales en santé. L’analyse des besoins de santé, la priorisation des actions et leur mise en œuvre dans des programmes ont ainsi été expérimentées avant d’être légitimées par les ordonnances de 1996. (Pierre-Henri Bréchat).
Mais aujourd’hui, l’enthousiasme des pionniers est retombé, et cet édifice, qui fut un temps particulièrement dynamique, est actuellement marginalisé. Le début de la crise sanitaire du Covid-19 a révélé un usage quasi-inexistant, par les pouvoirs publics, des instances de démocratie en santé dans le processus de gestion de crise. Plus récemment, la Convention pour la fin de vie vient de rendre ses conclusions, sans que la Conférence de santé soit associée à cette réflexion, le débat citoyen ayant été placé sous la responsabilité du Conseil économique et social environnemental (CESE). La Conférence nationale de santé ne participe pas non plus au comité de pilotage du Conseil national de la refondation (CNR) -Santé, vaste forum qui a associé des milliers de citoyens, professionnels de santé et élus autour d’enjeux concernant l’accès aux soins, la prévention, et l’attractivité des professions de santé. La CNS s’inquiète dans un communiqué récent de la publication d’une circulaire qui confirme la démarche de refondation territoriale, et souhaite que la CNS et les autres instances de démocratie sanitaire soient engagées dans ce processus.
L’introduction de nouvelles méthodes de consultation directe des citoyens par le biais d’enquêtes sur internet ou d’assemblées tirées au sort (comme dans le cas de la convention sur la fin de vie), devient la règle, ce qui tend à marginaliser les canaux traditionnels d’expression publique, que ce soit les parlementaires… ou les instances de démocratie sanitaire.
Le rapport de la Conférence nationale de santé la Démocratie en santé : une urgence de santé publique sur 20 ans de démocratie sanitaire témoigne aussi de la faible notoriété de ces instances. Cela fait pourtant 27 ans qu’elles existent et on ne dispose pas d’indicateurs précis dans ce domaine ; ce qui témoigne du peu d’intérêt que les pouvoirs publics portent à ces question. Certains avancent le fait que les moyens de ces instances sont très faibles : 3,3 millions € en 2021 pour l’ensemble des CRSA et conseils territoriaux. À titre de comparaison le collectif d’associations d’usagers (France Assos Santé) dispose à lui seul d’un budget trois fois plus élevé !!!
Les ARS disposent aujourd’hui d’une marge de manœuvre importante car elles administrent le Fonds d’intervention régional (4,6 milliards € en 2021) (FIRE 2021). L’enjeu d’une participation citoyenne aux décisions régionales en santé est donc primordial.
Et pourtant, les CRSA vivent une période difficile. Cela tient d’abord à leur positionnement : simple annexe de l’ARS pour certains ou véritablement forum de réflexion sur les politiques de santé régionales pour d’autres. Dans son bilan de 20 ans de démocratie sanitaire la Conférence nationale de santé partage cette interrogation. Ce n’est pas trahir un secret que d’affirmer que les ARS ne souhaitent pas avoir, à leurs côtés, un organisme qui mobilise ses ressources pour contester leur politique. La quasi-totalité des CRSA ne disposent pas d’un site internet autonome, un témoignage supplémentaire de leur dépendance aux ARS qui leur allouent leurs moyens (il en est de même pour la CNS).
Les CRSA doivent établir chaque année un bilan relatif aux droits des usagers. Dans les faits, cette mission ne semble pas menée à terme si l’on en croit les différents sites internet consultés.
Par ailleurs, au plan local, une redistribution des rôles entre la CRSA et les CTS est en train de s’effectuer. À la création des Agences régionales de santé en 2010, le niveau régional était le niveau de référence pour le pilotage des politiques de santé. Aujourd’hui, le vent a tourné. Depuis la crise des gilets jaunes, les instructions ministérielles se multiplient pour renforcer les services de l’État au niveau départemental, au détriment du niveau régional, à l’inverse de ce qui c’était passé dans la décennie précédente. La création des grandes régions, la crise du covid19, et à présent le Conseil national de refondation ont encore amplifié ce regain d’intérêt pour le niveau départemental dans le but d’assurer une présence de l’État au plus près des réalités de terrain.
Nombreux sont les pays à travers le monde, et en particulier en Europe, qui intègrent la participation du public dans les systèmes de santé, souligne la Conférence nationale de santé dans son rapport relatif au bilan de 20 ans de démocratie sanitaire. Mais aucun des pays étudiés par la CNS n’utilise cette appellation de « démocratie sanitaire », ou « démocratie en santé ». On y parle plutôt de « participation sociale », de « gouvernance participative » ou bien de la « participation des patients ». L’utilisation du terme de démocratie sanitaire exprime l’idée que les problèmes de santé doivent bénéficier d’un traitement « à part », au sein d’instances spécialisées et qu’il y a une Démocratie sanitaire à côté d’une Démocratie politique (incarnée par le Parlement), et d’une Démocratie sociale (incarnée par les syndicats) (Tabuteau).
Or, dans la mesure où les principaux déterminants des inégalités de santé sont extérieurs au système de santé, le débat public sur les politiques de santé ne peut se cantonner aux seuls acteurs de santé. Affirmer « La santé dans toutes les politiques », comme le proclame encore récemment le Haut conseil en santé publique, nécessite d’organiser les débats relatifs aux politiques de santé élargis aux différents champs d’action publique.
Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la revue médicale suisse, va encore plus loin et s’interroge sur la portée réelle de la participation citoyenne en santé. « Malgré son importance majeure, le système de santé est bien loin d’une régulation démocratique. Il est piloté par l’incertain affrontement de pouvoirs flous, répartis entre les assureurs, l’autorité publique, les organes de management, les médecins et les acteurs économiques, pharmas, producteurs de technologies, propriétaires de cliniques, etc. Sans compter les grandes revues, les chercheurs, les sociétés médicales, bref, tous ceux qui décident des orientations de la science médicale, de sa répartition en spécialités, de ses cloisonnements, du dynamisme ou de la défense sclérosée de l’ensemble. Mais les citoyens et patients ? Ils sont représentés, défendus, parfois manipulés, certes, mais comment sont-ils consultés ? »
Avec les difficultés croissantes que rencontre le système de santé français dans un contexte économique et social difficile, et avec l’expérience sans précédent de l’épidémie de Covid-19, la politique de santé ne peut qu’occuper une place déterminante, au cours des prochaines décennies. Mais rien ne prouve que la participation citoyenne aux décisions de santé aura, dans les années venir, les mêmes contours qu’aujourd’hui. Rien n’est inscrit dans le marbre !
François Tuffreau
Merci à Gérard Lucas et Marc Schoene pour leur collaboration
publié le 19 avril 2023
Actualité et dossier en santé publique n°121
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