Depuis plusieurs mois, de nombreux services hospitaliers doivent faire face à une augmentation sans précédent des départs de soignants (à tous les échelons). Une tendance qui montre qu'en termes de conditions de travail, les soignants sont des salariés comme les autres.
Aux États-Unis, Inutile de payer très cher un médecin pour faire du travail de secrétariat, autant recruter du personnel spécialisé qui sera moins rémunéré. En France, on parle d’assistants médicaux.
La grande démission
« On a parlé de « grande démission » pour caractériser la progression sans précédent des démissions aux Etats-Unis depuis la sortie de la crise sanitaire : chaque mois, plus de 4 millions de travailleurs en moyenne quittent volontairement leur emploi. », affirme Olivier Favereau, économiste dans Le Monde. On ne dispose pas de chiffres aussi précis pour notre pays mais la crise sanitaire, qui a constitué un véritable électro-choc, a conduit sans doute des centaines de milliers de salariés à quitter leur emploi. Toute l’échelle sociale est concernée. « D’un côté, les serveurs et cuisiniers désertent la restauration, les saisonniers les emplois touristiques, les infirmières l’hôpital, etc. De l’autre, de jeunes cadres bien payés désertent leur job dans la finance, le marketing ou la gestion pour se reconvertir dans des activités manuelles, tandis que des étudiants de grandes écoles font savoir collectivement qu’ils déserteront les belles carrières traditionnelles, dénuées de sens et/ou indifférentes à la transition écologique », selon Olivier Favereau.
Cette tendance touche aussi les soignants
En ce qui concerne les établissements de santé, les exemples se multiplient de services hospitaliers en grande difficulté pour poursuivre leur activité suite à des départs précipités de soignants, et il est très difficile de les remplacer car ces professions n’exercent plus la même attraction qu’autrefois.
À cause de leur engagement professionnel, on a souvent tendance à considérer les soignants comme des salariés à part. Mais à l’hôpital comme ailleurs, on parle de conditions de travail, de relations hiérarchiques, de mobilité, de rémunérations, de plans de carrières. Et la situation s’est considérablement dégradée au cours dernières décennies, avec le non remplacement des personnels hospitaliers suite à l’instauration des 35 heures dans les années 2000 et dernièrement, quand l'augmentation des effectifs hospitaliers n'a pas suivi la progression de l’activité.
Ces difficultés s’expliquent aussi par une bureaucratisation des soins. Pour de « bonnes raisons », traçabilité des actes-qualité-tarification, les soignants enregistrent dorénavant en temps réel de nombreuses informations. Dans le monde d’avant, ces informations étaient enregistrées par les secrétaires. Aujourd’hui, les soignants passent une part non négligeable de leur temps à enregistrer ces informations, au détriment du temps passé avec les patients. Par ailleurs, l’ergonomie de ces logiciels est souvent mise en cause, quand il faut consulter de nombreux écrans pour avoir l’information que l’on recherche.
Les assistants médicaux (medical scribe)
Pour assurer cette fonction, les américains ont créé le métier de « Medical Scribe ». Inutile de payer très cher un médecin pour faire du travail de secrétariat, autant recruter du personnel spécialisé qui sera moins rémunéré. En France, on parle d’assistants médicaux.
Par ailleurs, à l’hôpital, quand le chef de service est peu présent, occupé par des staff de toutes sortes (réunions internes à l’hôpital, certification…), quand le cadre de santé ne joue pas son rôle d’appui des équipes mais passe son temps devant un écran à remplir des tableaux de présence, quand la présence médicale repose essentiellement sur des internes qui changent de poste tous les six mois, et quand la charge de travail est telle qu’elle ne permet pas de faire une seule pose dans la journée, certains et certaines peuvent avoir envie d’aller voir ailleurs. D’autant que les hôpitaux publics cumulent les handicaps. Ce sont d’immenses navires (plusieurs milliers de salariés) dans lesquels le pouvoir d’agir est freiné par la lourdeur des structures hiérarchiques.
Les effets du compte emploi-formation
En France, ce mouvement de fuite s’est accéléré avec la crise du COVID19 et suite à la loi du 5 septembre 2018 pour « la liberté de choisir son avenir professionnel » qui a reconfiguré la formation professionnelle, en instaurant le « parcours achat direct » (PAD). Ce nouveau mode d’inscription et de paiement des formations CPF (« mon compte formation »), accessible sur une application mobile et un portail numérique. Une opportunité pour tous ceux et celles qui voulaient quitter leur emploi. Certaines entreprises de formation se sont ainsi spécialisées dans la reconversion des infirmiers (salariées ou libérales).
"La "Grande démission" touche particulièrement les pays où la gouvernance des entreprises où la codétermination n'existe pas... comme la France"
Dans sa conclusion, Olivier Favereau pointe le fait que la « grande démission » concerne un groupe de pays hétérogène du point de vue de la régulation du marché du travail – soit libérale, soit sociale-démocrate. Elle ne concerne pas ou peu, en revanche, les pays comme l’Allemagne, l’Autriche et les pays scandinaves, où la gouvernance des entreprises obéit aux règles de la « codétermination », (participation des salariés au conseil d’administration ou à des conseils d’établissement), ce qui permet aux salariés des entreprises de ces pays de participer aux choix stratégiques de production. La France ne fait pas partie de ce premier groupe : la codétermination n’y existe pas et les organisations, privées ou publiques, ne prévoient pour leurs salariés aucun espace institutionnel de décision partagée sur le « consentement au travail. « Comment s’étonner que le travail y soit massivement en panne de sens ? Hors du consentement ne reste plus, à la longue, que la désertion. Nous y sommes ».
Saraux (jeudi, 23 juin 2022 10:06)
Merci pour cette analyse