À l'occasion du lancement de la consultation citoyenne sur la proposition de stratégie décennale de lutte contre les cancers, les internautes sont invités, jusqu’au 10 octobre, à donner leur avis sur les 220 préconisations élaborées par l’Institut national du cancer (INCa) et l’ensemble des acteurs de la cancérologie. Chacun peut aussi proposer des mesures supplémentaires. L’INCa souhaite réduire d'ici 2040 de 60 000 le nombre de nouveaux cancers diagnostiqués chaque année. Thierry Breton, directeur général de l'INCa, répond en exclusivité à nos questions.
>Pourquoi une stratégie décennale ?
>Les facteurs de risque du cancer font déjà tous l'objet d'un programme spécifique. Pourquoi engager une nouvelle démarche préventive ?
>La stratégie décennale comporte 220 propositions. Mais quelle stratégie pour atteindre ces objectifs ?
>Qu'est-ce que l'INCa attend de cette consultation citoyenne ?
>Comment les disparités territoriales seront-elles prises en compte ?
Pourquoi une stratégie décennale ?
L’idée du législateur était de se donner un temps ambitieux et de concevoir la stratégie décennale comme une stratégie qui va chercher à changer la donne, et à faire en sorte que sur trois orientations sur lesquelles nous avons du mal à avancer, la prévention, la réduction des séquelles, et la lutte contre les cancers de mauvais pronostics, on se donne la force et le temps nécessaire pour obtenir des améliorations significatives. Nous ferons vivre toutefois la stratégie décennale, avec une clause de révision à cinq ans, qui permettra d’adapter, de tenir compte des innovations thérapeutiques, des évolutions, des avancées et des difficultés.
La prévention fait partie des trois axes prioritaires que vous avez choisis. Mais, pour chacun des principaux facteurs de risque du cancer (tabac, alcool, alimentation, obésité) existe déjà un programme national de santé spécifique. La stratégie décennale ne va-t-elle pas faire redondance par rapport à ces différents programmes ?
Vous avez raison, les principaux facteurs de risque qui favorisent l’apparition des cancers sont aussi les principaux déterminants de la mortalité générale. Quelques chiffres rapidement : les cancers sont la première cause de mortalité : la consommation de tabac provoque environ 75 000 décès par an, toutes pathologies confondues, dont 45 000 par cancers. Notre action n’est pas en compétition, elle est en complément, et finalement les différents plans se cumulent pour apporter à chaque fois une impulsion supplémentaire.
Je prends un exemple, s’il n’y avait pas eu le 3ème plan cancer, il n’y aurait pas eu de plan national de lutte contre le tabagisme. Le 3ème plan cancer est à l’origine du lancement du plan de lutte contre le tabagisme. Ce plan n’appartient pas à l’institut national du cancer, il n’appartient pas au champ de la cancérologie, il va servir à tout le monde et va contribuer à la réduction des cancers évitables.
Dans la stratégie décennale, nous proposons de la même manière des mesures supplémentaires par rapport à celles qui sont prévues et qui vont apporter une force, une ambition pour renforcer l’action collective sur les principaux facteurs de risque.
Pour le moment, la stratégie décennale contient de nombreuses propositions, mais pas de stratégie proprement dite dessinant le chemin pour atteindre ces objectifs.
Pour préciser notre stratégie, parmi les 220 mesures que nous avons préconisées, nous avons avancé deux fils rouges. Le premier vise à considérer que, sur un objectif particulier, par exemple, le tabac, une mesure ne suffira pas, c’est en réalité une collection de mesures qu’il faut pouvoir engager pour espérer changer la donne. Changer les comportements de nos concitoyens, c’est bien la chose la plus difficile à obtenir, on n’y arrive pas en le proclamant mais en créant un environnement qui va favoriser le changement de comportement,
Le deuxième fil rouge c’est vraiment d’apporter à nos compatriotes dans leur ensemble plus de services, des services de meilleure qualité et qui répondent mieux à leurs besoins et qui les aident dans leur vie quotidienne.
L’INCa dispose en interne d’un comité de démocratie sanitaire et une enquête auprès d’un échantillon de personnes a été lancée en 2019 pour élaborer les 220 préconisations du plan. Quel sera selon vous l’apport de cette consultation citoyenne prévue jusqu’au 10 octobre prochain ?
D’abord, cette initiative est une nouveauté. Dans le champ de la cancérologie, aucun plan cancer n’a été conçu jusqu’à présent avec une consultation citoyenne. C’est aussi, je pense, une nouveauté dans le champ de la santé publique. Des consultations citoyennes ont été engagées pour obtenir un consensus sur des thématiques particulières, je pense à la concertation sur la vaccination, mais ce n’est pas le cas pour les différents programmes de santé.
Pour nous, c’est important de donner la parole à chacun. On voit bien que l’on est dans un moment où il y a une demande légitime de nos compatriotes de participer, pour ceux qui le souhaitent, à la réflexion. Il n’est pas légitime qu’ils se trouvent confrontés à un certain nombre de décisions face auxquelles ils n’ont pas pu s’exprimer. Cependant, ce n’est pas un vote démocratique - on n’est pas à l’Assemblée nationale - ni représentatif. Mais l’on souhaite redonner la parole à nos compatriotes parce qu’en réalité les questions qui sont posées ne sont pas techniques mais sont plutôt des questions de société et chacun peut contribuer avec son propre ressenti.
On se doit de donner la parole encore plus dans la mesure où il s’agit d’une stratégie décennale. S’engager même avec une révision à moyen terme à cinq ans, cela suppose que l’on ait un minimum d’assurance sur le fait que ce que l’on a imaginé corresponde aux besoins de nos compatriotes.
C’est aussi parce que cette concertation nous est apparue comme une nécessité que nous l’avons entreprise, avec les fils rouges que je viens de vous indiquer. On ne va pas décréter seul que demain en France 40 % des cancers évitables seront « évités ». Quand on se fixe un objectif de réduire de 60 % le nombre de cancers incidents c’est évidemment le fruit d’un choix collectif le plus large possible C’est aussi une façon d’obtenir l’adhésion, la mobilisation pour atteindre les objectifs ambitieux que l’on s’est fixés. Nous atteindrons ces objectifs grâce à une mobilisation collective sans laquelle nous n’y arriverons pas. Il y a aussi la possibilité dans cette consultation d’apporter des idées supplémentaires. C’est un point de mobilisation, d’enrichissement, en espérant susciter l’adhésion la plus forte pour une stratégie qui soit la plus ambitieuse possible.
L’approche territoriale n’apparaît pas dans les 220 propositions de la stratégie décennale de lutte contre le cancer. Or, les taux de mortalité par cancers varient du simple au double entre départements, et les écarts sont également très importants en matière d’offre de soins en cancérologie.
Ce n’est pas tout à fait exact ! Ça apparait sur plusieurs points. Vous avez raison de le signaler, il y a en France des inégalités territoriales et sociales importantes pour ce qui concerne les indicateurs de santé mais également, de manière différente, pour ce qui concerne l’accès aux soins. On cherche de manière générale sur la question des inégalités à changer de stratégie car jusqu’à présent on considère que l’on n’a pas su faire. On va notamment développer un croisement d’approches populationnelles par déterminants et par région. On va essayer, en effectuant un certain nombre de recherches, de trouver des solutions concrètes pour certains de nos compatriotes qui sont dans des situations particulières pour l’accès à la prévention, à la santé et aux soins.
Ensuite on a des mesures qui sont déjà identifiées de manière plus précise. Il y en a deux qui me viennent à l’esprit. Par exemple, lorsque nous travaillons sur l’évolution de l’organisation hospitalière en cancérologie, via le régime des autorisations, on fait systématiquement des études d’impact qui portent sur l’offre et sur les conditions d’accès de nos compatriotes aux différents services. On le fait déjà mais cette action va s’amplifier. On doit en effet trouver un juste équilibre entre des exigences de qualité, de sécurité des prises en charge, et des exigences d’accessibilité territoriales. Cela passe aussi par des organisations qui font que l’hôpital de proximité puisse avoir un rôle dans le parcours même si le traitement en phase aigüe n’est pas offert dans cet établissement.
Par ailleurs, on n’est pas satisfait par les conditions actuelles d’accès à l’imagerie médicale et en particulier à l’IRM (imagerie par résonance magnétique) avec des délais parfois importants dans certaines régions, et qui ne se réduisent pas. On espère donc réduire ces délais d’accès.
Pour les cancers de mauvais pronostics, on va essayer de mettre en place des parcours de diagnostics beaucoup plus rapides, car l’on sait que la rapidité du diagnostic pour ces cancers peut être déterminante. Nous allons organiser dans ce but un réseau national des cancers complexes afin que, à un moment donné, l’équipe soignante puisse travailler avec les meilleures équipes référentes en France sur ces questions-là.
C’est très présent dans notre esprit de continuer à apporter à chacun des patients des soins de qualité au plus près de leur domicile.