Alors que la France était dans le peloton de tête des pays avec une faible mortalité infantile dans les années 1990 – 2000, depuis quelques années, le taux ne baisse plus. A l'opposé, dans des pays comme le Japon ou la Finlande, la mortalité infantile baisse régulièrement (figure ci-dessous). Comment expliquer la situation de notre pays ?
Le taux de mortalité infantile (MI) est le rapport entre les décès de l'année chez des enfants de 0 à moins de 1 an (364 jours) et les naissances de l'année. Il concerne les enfants nés vivants, en excluant les mort-nés. En 2016, ont été dénombrés 2 800 décès en France entière pour 780 000 naissances vivantes, soit un taux de MI de 3.7 ‰. Ce taux est quasiment stable depuis 2005 où il était à 3.8 ‰ (figure ci-contre). Les données 2017 provisoires font état de 3.9 ‰. Les décès sont surtout observés au cours de la 1ère semaine de vie (50 % des décès, en augmentation) et entre 7 et 27 jours (21 %) et sont en lien avec la prématurité et les malformations congénitales, puis entre 28 et 364 jours (30 %, en baisse) en lien avec les infections et la mort subite. La figure montre que les pays les mieux placés (la France est au 22ème rang mondial en 2016, selon l'OCDE) sont autour de 2 ‰. Si la France était à ce taux, on observerait 1 500 décès par an, soit 1 300 de moins sur une année !
Ce « retard » français a sans doute des causes déclaratives mais aussi médicales et sociales.
En premier lieu, la déclaration d'un nouveau-né à l'État civil n'est sans doute pas uniforme dans tous les pays. En France, la déclaration administrative des enfants débute à 22 semaines d'aménorrhée, même si on considère la viabilité biologique plus tard. Si le nouveau-né respire un tant soit peu, il doit être déclaré né vivant et son décès est compté dans la MI. A l'opposé, si on considère, que, par exemple, en raison de son terme à 22 ou 23 SA ou de sa malformation, son pronostic était mauvais, certains le déclareront comme mort-né (avec des modalités de prise en charge des corps très différents). De plus, les interruptions médicales de grossesse ne sont pas pratiquées partout avec la même incidence (il y en aurait plus en France) et ne sont pas toujours déclarées à l'État civil dans tous les pays. Cette difficulté pourrait expliquer, pour une faible partie, le taux plus élevé en France que dans d'autres pays où la déclaration peut commencer à 28 SA. Mais, en aucun cas, la stagnation de la MI ne peut être expliquée dans notre pays par ce problème déclaratif les conditions d’enregistrement des naissances n’ayant pas changé, a priori, depuis 2005.
Les causes médicales et sociales peuvent sans doute mieux expliquer la position française. Les variations géographiques à l’intérieur du territoire français sont importantes, avec un taux de MI nettement plus élevé dans les départements d'outre-mer (6,8 ‰ à la Réunion et 9,3 ‰ à Mayotte et en Guyane). Cette surmortalité représente environ 10 % de la mortalité infantile en France. En métropole, la région la plus mal classée est l'Ile-de-France avec 178 000 naissances enregistrées (soit 23 % du total des naissances) : le taux de MI est plus élevé en Seine-Saint-Denis (4 ‰) qu'à Paris (3,3 ‰). Les Pays de la Loire ont le taux régional le plus bas, avec 2.8 ‰ (114 décès pour 41 000 naissances).
L'INSEE a publié en 2010 une analyse plus fine sur un échantillon de 30 000 naissances de 2004 à 2009. Il n'y a pas de raison de penser que les facteurs associés à la MI aient changé depuis. Les facteurs explicatifs de la MI sont les suivants (en analyse multivariée) : les jumeaux, les garçons, les enfants de mères de nationalité d’Afrique sub-saharienne, de mères de moins de 20 ans (et dans une moindre mesure les mères de plus de 40 ans), de mères inactives ou de catégorie sociale inconnue, de pères ouvriers, ainsi que de mères résidant dans des unités urbaines de plus de 200 000 habitants (par rapport aux unités rurales). Certaines femmes et certains enfants, cumulent les risques en étant dans une situation globale de précarité, qu'elles soient d'ailleurs étrangères ou françaises. Ces facteurs de risque de MI sont en plus grand nombre en Ile-de-France et dans les départements ultra-marins, expliquant, pour partie, le taux élevé de la MI. La part des naissances chez les mères étrangères a augmenté de 2005 à 2016 (de 13 % à 17 %), ainsi que la prématurité, les naissances multiples, et l'âge élevé des mères, pouvant expliquer la stagnation de la MI. Cette stagnation de la MI depuis 10 ans a aussi été observée aussi pour les mères de nationalité française, et la MI a même augmenté pour les enfants de femmes résidant dans des villes de plus de 200 000 habitants (incluant l’unité urbaine de Paris).
Au total, il est possible d'affirmer que les causes médicales et sociales, spécifiques dans certaines régions en France, et peut-être spécifiques à la France, expliquent largement la situation française, en comparaison avec d’autres pays. Cependant, selon l'analyse publiée par l'INSEE : "ces facteurs n’expliquent pas à eux seuls l’arrêt de la baisse observée à partir de 2005", et il faudrait rechercher sans doute des causes plus fines. On pense généralement que notre système de santé prend en charge correctement toutes les femmes pendant la grossesse et tous les enfants de moins d'un an, quelle que soit les pesanteurs sociales (accès aux soins, gratuité des soins à partir de 6 mois...). La stagnation de la MI semble nous dire que les soins prodigués, fussent-ils performants, ne "rattrapent" pas suffisamment la mauvaise santé des femmes et des familles en situation de précarité. Au vu de ce constat, il n'y a pas de raison de penser que la MI puisse baisser radicalement dans les prochaines années en France.
Dr Bernard Branger