La mortalité infantile, miroir des inégalités sociales et territoriales

En 2023, le taux de mortalité infantile a atteint un record, avec 4 décès pour mille naissances vivantes, un taux jamais vu depuis vingt ans. Selon la Cour des comptes, qui vient de publier un rapport sur la politique périnatale en France, la situation se dégrade. Notre système de santé ne semble plus adapté pour répondre aux besoins de soins de certaines catégories de population.

En 2023, le taux de mortalité infantile a atteint un record, avec 4 décès pour mille naissances vivantes, du jamais vu depuis une vingtaine d’années. Parmi les 740 000 naissances vivantes enregistrées par l’Insee, environ 3 000 décès de nouveau-nés ont été dénombrés (Insee Première n°1978). Depuis 2009, la mortalité infantile ne baisse plus et le taux de mortalité infantile connaît des variations sans tendance marquée. La situation parait d’autant plus préoccupante que la situation de la France est plus détériorée que chez nos voisins (Papon, Insee).

La mortalité infantile apparaît comme un miroir des inégalités sociales et territoriales

Dans le rapport qu'elle vient de publier « La politique de périnatalité - Des résultats sanitaires médiocres, une mobilisation à amplifier », la Cour des comptes analyse les facteurs susceptibles d’expliquer les dernières tendances en matière de mortalité infantile. La hausse de l’âge des mères au moment de l’accouchement, et l’accroissement des grossesses multiples qui l’accompagne, la progression des situations de précarité, l’obésité et le surpoids des femmes ou encore une dégradation du circuit de soins sont cités comme facteurs susceptibles d’expliquer les tendances actuelles.

La prématurité, ainsi que le petit poids à la naissance de l’enfant, constituent des facteurs de risques importants pour la santé de l’enfant, rapporte la Cour des comptes. Ainsi, environ deux-tiers des décès recensés chez les enfants de moins d’un an concernent ceux nés prématurément ou avec un faible poids de naissance. Ce taux atteint 60 % à 70 % pour les très grands prématurés (naissance avant 28 semaines d’aménorrhée).

Les inégalités sociales et territoriales sont un véritable miroir de la mortalité infantile. « La précarité des familles et des mères, évaluée par le niveau de revenu, de diplôme ou de l’accès à une couverture sociale, est associée à une morbidité maternelle et infantile plus importante et à des complications et issues négatives de la grossesse ». La Cour soulève également la situation des femmes migrantes. « Le constat d’une augmentation de la prématurité chez les femmes migrantes en France a pu être mis en évidence en particulier pour les femmes d’origine sub-saharienne ou d’un pays présentant un indice de développement humain (IDH) faible ou moyen. Ces inégalités sont plus fortes pour les mères nées à l’étranger, dont les situations sociales sont corrélées à des morbidités et à des risques plus importants, alors même que près du quart des naissances sont issues de mères étrangères. Enfin, les territoires outre-mer concentrent des difficultés particulières. » 

Il ne faut pas se voiler la face : la situation sociale est dégradée en France pour une partie de la population qui vit en marge de la société. Les bidonvilles sont de retour, et pas seulement à Mayotte. Pour les familles qui vivent avec de telles conditions de vie, les barrières à l’accès aux soins sont considérables.

Notre système de santé ne semble plus adapté pour répondre aux besoins de soins de certaines catégories de population.

Historiquement, la France s’est dotée de nombreux plans périnatalité structurés et mobilisateurs entre 1970 et 2007. Puis cette priorité est passée au second plan et la politique publique repose aujourd’hui sur une conception plus diffuse, affirme la Cour des comptes. Ainsi, les objectifs portés par la stratégie nationale de santé (SNS) 2018-2022 au titre de la périnatalité ont été repris, parfois de manière redondante, dans une dizaine de plans thématiques distincts. Une ambition nouvelle s’est affirmée depuis 2021 à travers la stratégie des « 1 000 premiers jours », entendu comme la période allant du début de la grossesse aux deux ans de l’enfant.

Mais les objectifs de ces politiques sont-ils adaptés aux besoins de prise en charge des personnes les plus éloignées du système de soins, interroge les magistrats financiers. La réponse est clairement non. Quand il s’agit de créer de nouvelles prestations ou d’améliorer la prise en charge des parturientes pendant la période périnatale, notre système est plutôt bien organisé. Mais quand il s’agit « d’aller vers » les personnes les plus éloignées du système de soins et vivant parfois dans des conditions de vie déplorables, c’est beaucoup plus compliqué. Il ne s’agit plus d’agir en direction des professionnels du soin mais en direction des usagers eux-mêmes.

 

Certaines conclusions des magistrats apparaissent largement contestables

Dans leurs conclusions, les magistrats de la rue Cambon dressent un tableau particulièrement sévère de la prise en charge périnatale en France, en milieu hospitalier et en ambulatoire en parlant de « résultats sanitaires médiocres ». Mais la mortalité infantile ne doit pas être le seul indicateur utilisé pour évaluer la politique périnatale.

Environ 750 000 naissances ont lieu en France chaque année et l’on ne peut juger de la qualité du système de soins périnatal uniquement à travers le fait que la mortalité infantile (environ 3 000 décès) progresse légèrement. La misère sociale n’est pas imputable aux acteurs du système de santé.

Affirmer que les résultats de la politique périnatale sont « médiocres » est parfaitement contestable. À partir de quelques exemples extraits de l’enquête périnatale la plus récente (2021) une autre image de la prise en charge périnatale se dessine.  

·        « Les femmes semblent globalement avoir de bons échanges avec les professionnels de santé durant leur grossesse. En effet, pour la première fois en 2021, un score mesurant une des dimensions de la littératie (motivation et capacité des personnes à accéder à l’information, à la comprendre et à l’utiliser de manière à promouvoir et à maintenir une bonne santé) a été évalué ; seules 5,6% des femmes avaient des difficultés à accéder à l’information et à l’utiliser ».

·        Hormis le déclenchement du travail dont la fréquence est en augmentation (25,8% versus 22,0% en 2016), la diminution du recours aux interventions médicales visant à accélérer le travail se poursuit. Le taux d’épisiotomie, déjà en phase décroissante depuis plusieurs décennies, a fortement diminué, passant de 20,1% en 2016 à 8,3% en 2021,

·        L’ensemble des méthodes utilisées permet d’obtenir une bonne satisfaction des femmes puisqu’elles sont plus de 90% à être « satisfaites » voire « très satisfaites » des méthodes utilisées pour soulager la douleur.

·        Lorsqu’on les interroge à 2 mois sur leur satisfaction, plus de 90% des femmes se disent satisfaites voire très satisfaites de leur prise en charge médicale durant le suivi de leur grossesse et leur accouchement.

François Tuffreau, publié le 16 mai 2024



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