Depuis le début du quinquennat, les questions relatives à la dépendance ne quittent pas l’actualité. La publication récente de l’ouvrage « les fossoyeurs » a créé un électro-choc en décrivant les conditions de vie dans certains EHPAD. Depuis, les initiatives politiques se multiplient aussi bien au niveau ministériel que parlementaire. Mais ces réformes structurelles attendront le prochain président de la république.
La prise en charge médicale des personnes âgées en EHPAD
Cour des comptes
Les Fossoyeurs
Victor Castanet
Fayard, 400 pages
22,9 €
Depuis sa première parution, fin janvier, l’ouvrage de Victor Castanet a été réimprimé dix fois pour atteindre aujourd’hui les 200 000 exemplaires. Il est en tête des ventes dans les « relay » des gares SNCF.
La Cour des comptes (CC) vient de publier de son côté un autre ouvrage sur la situation des EHPAD : « la prise en charge médicale des personnes âgées en EHPAD ». Les magistrats financiers ont effectué à cette occasion des contrôles dans 57 Ehpad de tous statuts juridiques, tout en examinant les politiques et les actions menées par les pouvoirs publics, au niveau national et local.
Dans ce contexte très chargé, le prochain président de la république devra rapidement apporter des réponses à toutes ces questions qui n’ont pas reçu de réponses au cours du présent quinquennat.
PAS FORCÉMENT. L’ouvrage de Victor Castenet décrit de nombreuses situations dans plusieurs établissements du groupe ORPEA où le bien-être des personnes n’est pas respecté, malgré des frais d’hébergement très nettement supérieurs par rapport aux valeurs moyennes. À la suite de ce rapport, un certain nombre de responsables syndicaux ou politiques ont affirmé qu’il n’était pas possible de confier une mission de service public aux établissements lucratifs, qui reçoivent, comme les établissements publics ou associatifs, des ressources très importantes provenant de l’assurance maladie et des conseils départementaux pour financer les soins et la dépendance de leurs résidents. Comment ces établissements peuvent-ils assurer le bien-être de leurs résidents, dans la mesure où ils ont pour vocation de maximiser leurs profits ?
Selon les magistrats de la CC, la qualité de la prise en charge n’est pas liée « à la nature publique ou privée mais à l’efficacité de l’encadrement. Les Ehpad publics ne sont pas spécialement mieux gérés que les Ehpad privés lucratifs, a relevé Pierre Moscovici, président de la CC, en rendant compte des conclusions de ces travaux, mercredi 23 février dernier, au Sénat. La qualité de la prise en charge n’est pas liée « à la nature publique ou privée de l’Ehpad mais à l’efficacité de l’encadrement liée au triptyque directeur-médecin-infirmier coordonnateur, a expliqué le premier président de la Cour devant la commission des affaires sociales, commanditaire du rapport.
FAUX. Chaque fois que la qualité des soins en EHPAD (parmi les 7500 existants) est mise en cause par un journaliste, la même rengaine revient dans les médias « on ne s’occupe pas nos ainés ». Cette affirmation est profondément inexacte ! Les crédits publics alloués à ce secteur ont augmenté de 30 % depuis 2011, et dépassent 14 milliards € aujourd’hui, indique la CC, et les ratios en personnel ont beaucoup progressé. En comparaison avec le secteur hospitalier, c’est la composante du système de soins qui a bénéficié de la plus forte augmentation de moyens, sur le plan du fonctionnement comme de l’investissement. Par ailleurs, de nombreuses actions sont menées avec le soutien de la Caisse nationale de solidarité et l’autonomie (CNSA), des ARS et des conseils généraux pour améliorer la formation des intervenants en EHPAD.
VRAI. L’augmentation conséquente des moyens ne veut pas dire que ces dépenses accrues sont suffisantes pour répondre aux besoins d’une population de plus en plus fragile, a constaté la haute juridiction. La part croissante des résidents en grande dépendance (54 %) ou atteints de troubles cognitifs (57 %) nécessite un renfort sensible d’aides-soignants, de médecins, d’infirmières, de psychomotriciens, de psychologues, d’animateurs… La CC juge qu’une hausse du taux d’encadrement en personnels est nécessaire pour un coût qui se situerait entre 638 millions et 1,2 milliard € par an. Le secteur des EHPAD rencontre par ailleurs des difficultés de recrutement, plus ou moins prononcées selon les territoires.
VRAI. L’ouvrage de Victor Castenet a montré l’incapacité de l’administration à s’assurer d’un bon usage de la dépense publique dans les établissements ORPEA. Les dirigeants du groupe optimisent la gestion des emplois financés par l’assurance maladie, en n’assurant pas toujours les remplacements nécessaires. Enfin, les dispositifs médicaux financés par l’assurance maladie sont parfois « surfacturés » à l’établissement… alors que des ristournes de fin d’année (RFA) représentant jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires sont versés directement au siège.
Et pourtant, trois administrations veillent au bon fonctionnement des EHPAD, qui envoient chaque année un exemplaire de leur budget à l’Agence régionale de santé, au conseil départemental et à la Caisse nationale de solidarité et d’autonomie (ces fonds provenant du même organisme, la CNSA). Sur le terrain, les budgets des EHPAD font l’objet d’un double examen par les conseils départementaux et l’ARS. Un double travail inutile, dans la mesure où la part allouée à chacun des budgets s’effectuant selon une clé de répartition, valable sur l’ensemble du territoire. Pendant ce temps-là, les administrations ne disposent pas des moyens pour effectuer les contrôles sur le terrain.
Pour amélioration la situation, les leviers d'action sont nombreux :
· La double tutelle ARS/conseils départementaux est une pure aberration. Face à cette situation, la CC propose que le pilotage financier des EHPAD soit confié aux seules ARS. Depuis des années, les conseils départementaux s’opposent à cette mesure préconisée dans de nombreux rapports, et ne veulent pas se départir de leur casquette de cotutelle des Ehpad.
· Le nombre de contrôles est insuffisant... par manque de personnels pour effectuer ces contrôles.
· Certains faits dénoncés par Victor Castenet ne sont pas en contradiction avec la loi - En ce qui concerne le « mauvais usage » des crédits alloués par l’assurance maladie, et les méthodes dénoncées par Victor Castenet, il est impossible dans l’état actuel de la législation de poursuivre les établissements pour ce motif. Les ARS et les conseils départementaux affectent en effet des crédits publics aux Ehpad sans leur imposer un nombre précis d’embauches à la clé. A chaque directeur d’établir ses besoins en personnel. Il peut également conserver une partie de l’argent public qui lui est versé ou l’affecter à tout autre chose qu’aux soins des résidents.
· La surveillance des situations de maltraitance ne fonctionne pas. En ce qui concerne les situations de maltraitance, l’État s’est doté dès 2004 d’outils pour recenser les signalements dans les Ehpad, et analyser les suites qui y sont données, selon le quotidien « Le Monde ». Une base de données spécifique a été créée à ces fins, nommée Prisme (pour « prévention des risques, inspections, signalements des maltraitances en établissement »). Mais aucun bilan n’est disponible à ce jour.
VRAI. Il n’y a pas de commission des usagers en EHPAD comme dans les établissements de santé, mais un conseil de vie sociale (CVS), auquel les familles peuvent participer. La majorité des résidents en EHPAD souffrent aujourd’hui d’un déficit cognitif important et ne peuvent manifester eux-mêmes leur mécontentement, et les conseils de vie sociale ne semblent pas jouer leur rôle. Une mission flash de l’Assemblée nationale s’est penchée sur la question. « … Sans sanction et sans contrôle, le CVS est rarement mis en place. Il importe que ces conseils deviennent des instances de concertation, comportant des points de discussion annuels obligatoires… »
L’exécutif ne pouvait rester inactif, à quelques semaines des présidentielles. Olivier Véran, et Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’autonomie, ont présenté la réplique du gouvernement, le mardi 8 mars, lors de la visite d’un EHPAD, rapporte Le Monde. Un certain nombre d’annonces ont été effectuées à cette occasion :
En parallèle, les parlementaires de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale ont mené quatre missions flash… qui aboutissent à des préconisations proches de celles de l’exécutif, selon le quotidien Le Monde :
Il faut maintenant attendre l’élection présidentielle et la nomination du futur exécutif pour passer aux travaux pratiques.