L'évaluation de l'impact de la covid19 sur la mortalité et l'espérance de vie fait débat. Une nouvelle étude internationale, dirigée par Jonas Scholey, de l'institut Max Planck, remet en cause bien des certitudes. Cette étude souligne la persistance de l'écart très important entre l'est et l'ouest de l'Europe, en matière de santé.
Source :
NATURE HUMAN BEHAVIOUR
"Life expectancy losses and bounce-backs during the COVID-19 pandemic"
Auteurs : Jonas Schöley, José Manuel Aburto, Ilya Kashnitsky, Maxi S. Kniffka, Luyin Zhang, Hannaliis Jaadla, Jennifer B. Dowd &
Ridhi Kashyap
Publié le 17 octobre 2022
Évolution de l'espérance de vie 2021/2019 (nombre de mois)
* Angleterre et Pays de Galles
Depuis le début de l'épidémie, Santé publique France égraine chaque jour le nombre de décès imputables au covid19, à partir des données collectées par les Agences régionales de santé, et provenant des établissements de santé et des EHPAD. Le dernier comptage au 1er novembre 2022 fait état d’un effectif cumulé de 154 000 morts en France depuis le début de l’épidémie (source : Johns Hopkin university), chiffre quasi identique à celui de l’Allemagne ; de son côté, le Royaume-Uni dénombre 210 000 morts.
Mais ce recensement n'est pas considéré comme exhaustif, dans la mesure où la cause du décès n’est pas toujours parfaitement connue, chez les sujets âgés notamment, et en l’absence de recueil de données en temps réel sur les décès à domicile. De manière plus générale, les épidémiologistes se sont affrontés dès les premiers mois de l’épidémie sur la manière d’estimer le nombre de décès réellement imputables au coronavirus.
L’excédent de mortalité est nettement inférieur à la mortalité attribuée au covid19
Une autre méthode pour mesurer l'impact de la covid19 consiste à s'appuyer sur les données de mortalité générale, toutes causes de décès confondues. L'Insee calcule, par exemple, « l’excédent de mortalité », qui mesure la différence entre le nombre de décès attendus (en prolongeant les tendances observées les années précédentes) et le nombre de décès réellement constatés. Selon l’Insee, cet excédent, atteint + 95 000 décès pour la période de mars 2020 à décembre 2021. Pour la même période, le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc-Inserm) estime, quant à lui, à 146 000 le nombre de certificats de décès avec une mention de Covid-19, tous lieux de décès confondus.
Plusieurs explications sont avancées par l’Insee pour expliquer cet écart très important entre le nombre de décès imputables au covid19 (CépiDC) et l'excédent de mortalité mesuré par l'Insee. En réalité, après une forte hausse des décès en 2020, la mortalité a baissé par contrecoup en 2021, puisque de nombreuses personnes fragiles étaient déjà décédées l'année précédente. Cet effet « moisson » » a donc contribué à réduire la mortalité toutes causes confondues en 2021, affirme Nathalie Blanpain, auteur de l’étude. Par ailleurs, les mois d’hiver sont habituellement les plus meurtriers de l’année, en raison notamment de la grippe et des autres maladies saisonnières, ce qui accroît le nombre de décès attendus : en l’absence de grippe et des autres maladies saisonnières pendant l’hiver 2020-2021, le nombre de décès pour ces causes a chuté.
En France, l’espérance de vie est pratiquement revenue à son niveau avant crise
« L’espérance de vie » est un indicateur largement utilisé au plan international pour effectuer des comparaisons entre pays, à cause de sa fiabilité. Quand la mortalité augmente, l’espérance de vie baisse. À l’inverse, lorsque la mortalité diminue, l’espérance de vie (EdV).
Avec une dizaine de chercheurs européens, Jonas Schöley and al., de l’institut de recherche démographique allemand Max Planck, a effectué des comparaisons sur l’évolution de l’espérance de vie en 2020-2021 par rapport à 2019, dans 29 pays européens, mais aussi aux États-Unis, et au Chili. Cette étude, publiée dans la revue « Nature human behaviour » met en évidence, après une augmentation de la mortalité en 2020 (et donc une baisse de l’espérance de vie), un effet de « rattrapage » en 2021. Après une forte augmentation de la mortalité en 2020 (et donc une baisse de l’EdV), cet indicateur s’est ensuite redressé en 2021. La France, la Suisse, la Belgique et la Suède connaissent ainsi ce mouvement de rattrapage en 2021, après une baisse de l’espérance de vie en 2020. En revanche, aux États-Unis et dans de nombreux pays de l’Europe de l’est, l’EdV a poursuivi sa chute en 2021.
Sur la période 2019 (avant l’épidémie)-2021, les pays dans lequel la baisse d’EdV entre 2019 et 2021 est la plus élevée sont la Bulgarie (- 43 mois), la Slovaquie (35 mois), les États-Unis (29 mois). En revanche, l’espérance de vie a progressé en Norvège et est restée pratiquement stable en Finlande, en Suède et en France (- 1,2 mois). La baisse de l’EdV atteint 6 mois en Allemagne et 9 mois en Angleterre (+Pays de Galles).
Creusement des écarts entre l'est et l'ouest
Les pays avec les taux de vaccination les plus faibles (Europe de l'Est), sont aussi ceux qui connaissent la plus forte baisse d’EdV. L’association entre taux de vaccination élevé et faible baisse de l’espérance de vie est encore plus fort au-delà de soixante ans.
Jonas Scholey conclue son étude en introduisant une perspective à plus long terme sur la situation sanitaire dans l’est de l’Europe. Au cours de la deuxième partie du XXème siècle, ces pays ont connu une stagnation de la mortalité. Puis, dans les années récentes, une certaine convergence entre les pays de l’est et de l’ouest a été observée en matière d’espérance de vie. Mais la crise sanitaire actuelle est en train de recreuser, une nouvelle fois, un fossé sanitaire entre l’est et l’ouest.
Évolution de l'espérance de vie (Life expectancy-LE) de 2019 à 2021
en rouge, baisse de l'espérance de vie (LE)
en gris, augmentation de l'espérance de vie
Mortalité covid19 et immigration, en France