Le Haut conseil de la santé publique (HCSP) vient de remettre un rapport détaillé qui définit de nouvelles priorités de santé pour la Guyane. Mais la sortie de ce rapport intervient quelques mois après la publication du Projet régional de santé (PRS) 2018-2028 de l’Agence régionale de santé (ARS) de Guyane. Une compétition qui interroge les conditions d’élaboration des politiques de santé dans les territoires !
En Guyane, la diversité culturelle est la règle. Mais cette diversité ne conduit pas au multiculturalisme (Frédéric Piantoni, « Migrants en Guyane »), « car il traduit le cloisonnement ethnique tant spatial que social qui s’exprime aussi dans l’analyse des enjeux de santé du territoire ».
La Guyane est le plus grand département français (83 000 km2), à peu près de même taille que la région Nouvelle Aquitaine. Mais alors que cette région métropolitaine compte près de 6 millions d’habitants, la Guyane en dénombre 20 fois moins (294 000 habitants, 2021). Dans ce territoire essentiellement recouvert de forêt tropicale, la population se concentre sur la bande littorale et les marges fluviales du Maroni à l’ouest et de l’Oyapock à l’est. Une partie importante de la population vit pauvrement ; le produit intérieur brut (PIB) s’établit à 15 163 € par habitant contre 36 193 euros pour la France entière. Il représente la moitié de celui de la Guadeloupe ou de la Martinique (Insee).
En Guyane, la diversité culturelle est la règle. Mais cette diversité ne conduit pas au multiculturalisme (Frédéric Piantoni, « Migrants en Guyane »), « car il traduit le cloisonnement ethnique tant spatial que social qui s’exprime aussi dans l’analyse des enjeux de santé du territoire ». Selon le Haut conseil, le « peuplement de la Guyane s’apparente à une organisation spatiale insulaire organisée en archipels de lieux de vie ». Pas facile en effet de bâtir une maison commune pour les Amérindiens (les plus anciens habitants du territoire), qui ne représentent aujourd'hui que 5% de la population, les Bushinengués (aussi appelés noirs-marrons en français), les Créoles guyanais (40 % de la population) qui constituent le groupe le plus important, les populations européennes (12%), les populations brésiliennes, chinoises, ou surinamaises, les Hmongs réfugiés du Laos, tout en tenant compte de l’arrivée récente de migrants d’Haïti.
Le rapport du HCSP identifie clairement les enjeux de santé du territoire qui n’ont rien à voir avec celles de l’hexagone : l’accès à l’eau de boisson et l’assainissement ; la lutte contre les intoxications et intoxinations environnementales ; l’alimentation et la nutrition. 18% de la population ne dispose pas d’un accès au réseau public d’eau potable, proportion pouvant être considérablement plus élevée dans certaines portions du territoire. De plus, le développement de l’habitat spontané au cours des dernières années a compliqué l’accès à l’eau potable dans des zones urbaines et péri-urbaines.
Les populations qui vivent à l’intérieur, au bord des fleuves Maroni et Oyapock font face quant à elles à des pollutions environnementales (mercure et plomb) dues notamment aux exploitations illégales d’orpaillage.
Dans son rapport très complet, le HCSP produit également un état des lieux en matière de santé sexuelle (la Guyane est le département français le plus touché par le sida avec un taux de prévalence d’1 % environ), de santé reproductive et d’égalité entre les genres, de santé mentale, de risques infectieux, et d’accidents de la route. Parmi les maladies infectieuses à transmission vectorielle, les épidémies confondues de la Dengue, du Chikungunya et de Zika ont touché environ 30 000 personnes de 2012 à 2017, soit l’équivalent de 20% de la population. Les parasitoses digestives sont également très présentes.
Les guyanais disposent ainsi de 2 feuilles de route en santé, le rapport du HCSP d’une part et le Projet régional de santé (PRS) élaboré par l’Agence régionale de santé de Guyane (ARS) 2018-2028. Derrière cette compétition entre deux démarches commanditées par les services de l’État, ressurgit deux conceptions de la planification sanitaire. D’un côté, le PRS dont les priorités sont principalement tournées vers le parcours de soins et l’offre de santé (voir graphique ci-dessus). De l’autre une approche essentiellement bâtie à partir des caractéristiques propres du territoire, sans cadre réglementaire. Par nature, les politiques de santé sont systémiques et les priorités du HCSP dépassent le seul cadre sanitaire en mettant en avant les questions relatives à l’accès à l’eau, l’assainissement, la nutrition, l’alimentation, ou les accidents de la route. Une compétition entre deux démarches qui interroge les conditions d’élaboration des politiques de santé dans les territoires.