Former les étudiants de toutes les filières santé à la prévention et à intervenir en promotion de la santé auprès de scolaires, en EHPAD, en entreprise, c’est le pari du service sanitaire des études de santé (SSES). Le Haut conseil en santé publique publie un premier avis alors que le SSES rentre dans sa troisième année de mise en œuvre.
>Premier obstacle, un manque de compétences prévention dans les facultés de santé
>Pour certains étudiants, le SSES représente une véritable "respiration"
>La dimension interpro-fessionnelle est parfois source de difficultés insurmontables
>Un chantier d'avenir
Lancé en toute hâte au printemps 2018, le SSES a démarré pour quelques formations dès l’année universitaire 2018-2019 et rentre donc dans sa troisième année de mise en œuvre. Concrètement, tous les étudiants de santé sont potentiellement concernés, soit 45 000 étudiants chaque année, dont 31 000 en soins infirmiers, l’entrée dans le SSES ne s’effectuant pas pour toutes filières en même temps.
Pour lancer le service sanitaire, les enseignants des différentes filières ont été confrontés à une première difficulté pour trouver les formateurs aux enseignements théoriques et pratiques en prévention et promotion de la santé autour des thématiques prioritaires retenues : l’alimentation, l’activité physique, les conduites addictives, et la vie affective et sexuelle. Dans un système de santé essentiellement orienté vers le soin, la prévention était pratiquement absente de la plupart des cursus universitaires en médecine, odontologie, pharmacie… les Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) étant jusqu’à présent la seule filière dans laquelle le référentiel de formation prévoyait un cursus théorique et pratique en matière de prévention.
Les Agences régionales de santé (ARS), qui apportent leur appui à la mise en œuvre du SSES dans les régions avec les rectorats, ont incité les enseignants à se tourner vers des acteurs extérieurs à l’université comme les centres ressources régionaux en prévention et promotion de la santé, présents dans toutes les régions (IREPS, Promo-santé…). Ces centres ressources, qui disposent de ressources documentaires, d’outils pédagogiques et d’une pratique ancienne des interventions de terrain promeuvent en France le développement des compétences psycho-sociales (CPS).
Santé publique France a également mis en ligne un corpus documentaire relatif aux données probantes mais pas toujours adapté. Face à la rareté des outils pédagogiques pleinement adaptés aux besoins des étudiants, les ARS ont soutenu les IREPS et autres centres ressources régionaux pour mettre à disposition des plateformes de ressources, offrant en général les mêmes services d’une région à l’autre.
« Le SSES amène les étudiants à travailler en mode projet, ce qui représente, pour la majorité d’entre eux, une innovation pédagogique qu’ils apprécient », indique le HCSP. Ce constat est confirmé par le Dr Damien Durand, médecin de santé publique au CHU de Nantes et coordonnateur SSES en Pays de la Loire. Pour ce praticien qui reconnaît qu’il n’est pas toujours facile de mettre d’accord les responsables des différentes filières, « le SSES représente une véritable respiration pour beaucoup d’étudiants, qui, après leur première année en PACES, découvrent de nouvelles modalités de formation, loin des habituels polycopiés et enseignements magistraux. Les interventions de terrain sont également fortement appréciées dans la mesure où elles laissent place à la créativité, les étudiants travaillant en groupe de manière interprofessionnelle et en mode projet. Après une plusieurs années d’enseignement magistral, les étudiants se trouvent enfin reconnus par les personnes qu’ils rencontrent lors des interventions de terrain ». Jeanne, étudiante en 3me année de médecine, fait part de son expérience en EHPAD. « Je me suis enrichie au contact des personnes rencontrées que je n’ai pas vues pas comme des patients porteurs de maladies ». Lors des interventions en milieu scolaire, qui représentent les ¾ des actions de terrain, les étudiants ont apprécié de ne pas être en blouse blanche, la faible différence d’âge avec certains élèves facilitant les échanges dans un climat favorable à la confession (la santé sexuelle faisant partie des thématiques retenues).
Dans cette organisation lourde à mettre en œuvre, le référent de proximité est un maillon indispensable du dispositif. Ce dernier (un infirmier de santé scolaire en collège par exemple) guide les étudiants dans la construction de leur action pour être au plus près des préoccupations des personnes qu’ils rencontrent (élèves de collèges ou de lycées, résidents d’EHPAD, gens du voyage, en entreprise…). Selon le HCSP, 80 % des étudiants interrogés se déclarent satisfaits de l’encadrement du référent de proximité.
La dimension interprofessionnelle du SSES s’est avérée parfois source de difficultés insurmontables, estime le HCSP. L’organisation des plannings ou des emplois du temps et la difficulté à dégager du temps de travail commun aux étudiants de filières différentes ont souvent représenté un véritable casse-tête. Certains sites ont d’ailleurs choisi d’arrêter une période commune pour l’ensemble des filières, réservée au SESS. L’hétérogénéité des cursus et l’éloignement des structures d’une même région sont également sources de difficultés, en particulier pour les Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) qui ne sont pas situés dans une ville siège de faculté de médecine, et qui, pour ces raisons, a le plus de mal à s’intégrer dans les échanges interprofessionnels.
« L’interprofessionnalité ne se résume pas à une mutualisation des supports et au regroupement des étudiants dans les mêmes amphis », souligne le HCSP. « Un travail pédagogique inter-filière permettant une véritable coconstruction des formations et des temps d’apprentissage est nécessaire ». Un vœu pieux ? Là encore l’hétérogénéité est pointée par le Haut conseil, avec des sites de formation dans lesquels les équipes enseignantes ont l’habitude de travailler ensemble et d’autres pour lesquels l’interprofessionnalité reste un chantier en construction. Du point de vue des étudiants en revanche, la plupart considère ces échanges comme un des points les plus positifs de leur expérience.
Organiser sur tout le territoire pour les dix filières de santé existantes un tronc commun d’enseignement aux enjeux de la prévention et préparer les étudiants à intervenir en commun dans différents lieux de stage (école, EHPAD, entreprises…) sans moyens supplémentaires semblait un pari impossible, d’autant qu’à l’origine différents syndicats étudiants se sont montrés très réticents à sa mise en place. Le premier avis du HCSP, établi à partir d’auditions ayant permis d’échanger avec 26 représentants des parties prenantes à l’échelle nationale est pourtant relativement flatteur. « Le SSES est un dispositif prometteur et apprécié des étudiants, inducteur d’une forte dynamique intersectorielle et multi acteurs en région, qui préfigure les nouvelles pratiques de formation et d’exercice des professionnels de santé, en mettant l’accent sur le nécessaire renforcement des pratiques de prévention et promotion de la santé dans les territoires ». Ce n’est qu’un premier avis, un rapport d’étape étant prévu dans les prochaines semaines, pour un rapport définitif en septembre 2022.
Selon le HCSP, la majorité des étudiants interrogés se déclarent convaincus de l’utilité de cette formation pour leur future pratique professionnelle, la plupart se déclarant satisfaits des formations théorique et pratique dispensées. Cependant, les pourcentages de satisfaction varient selon les filières, les étudiants en soins infirmiers et en odontologie se déclarant plus satisfaits que ceux de médecine, kinésithérapie et pharmacie.
Rien d’étonnant quand les membres du HCSP soulignent les difficultés de mise en œuvre d’un tel projet et l’hétérogénéité des situations sur le territoire. Son caractère inédit, le double pilotage au niveau national (ministère de l’enseignement supérieur et ministère de la santé) et local (ARS, rectorat, représentants des différentes filières), sa dimension interprofessionnelle dans un système de santé fortement hiérarchisé et cloisonné, l’absence de culture de prévention… autant d’obstacles auxquels ont été confrontés les différents coordonnateurs régionaux.
Dans leur premier avis, les experts du HCSP s’interrogent également sur la portée du SSES en tant qu’outil de prévention dans les territoires. Certains critiquent ces formations à bas coûts, concurrentes des interventions certifiées. Dans les faits, les interventions menées dans le cadre du service sanitaire entrent parfois en concurrence avec des actions menées sur les mêmes thématiques par des acteurs de prévention dûment formés et financés pour ces actions.
Quel avenir pour le service sanitaire ? Cette formation est-elle une simple goutte d’eau dans le cursus des étudiants qui s’engagent, pour certains, dans un cursus de 10 années de formation supérieure, ou cette « expérience de terrain » est-elle susceptible de changer le regard et les pratiques des futurs professionnels de santé en matière de prévention ?
François TUFFREAU