La coordination des soins, et plus largement de la prise en charge de la santé des personnes, repose en France sur une multitude de dispositifs et de structures concurrents les uns des autres, (voir Fil Santé # 6). Le Dr Gérard Mick, Président de l’Union Nationale des Réseaux de Santé (UNR.Santé), et Richard-Pierre Williamson, Président de l’Association Nationale des CLIC (ANC-CLIC) ont bien voulu répondre à nos questions à propos des projets gouvernementaux de restructuration de ces dispositifs.
La convergence des dispositifs d’appui aux parcours de santé vous semble-t-elle nécessaire ?
Richard-Pierre Williamson – Incontestablement oui, car les professionnels directement concernés considèrent que la situation actuelle n’est plus tenable. D’un côté, il y a une abondance d’organisations de terrain dont les missions se chevauchent parfois, et de l’autre, dans certains territoires, ces services ne sont pas véritablement opérationnels. Oui, nous sommes convaincus au sein de nos différentes organisations qu’il faut réformer le système actuel.
Gérard Mick – Sur le terrain cependant, si certaines structures ou institutions sont prêtes à évoluer et à aller vers une convergence des dispositifs, d’autres non.
Le mouvement de rapprochement est-il amorcé ?
Richard-Pierre Williamson - La période charnière, c’est la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016*, et la création des Plateformes Territoriales d’Appui (PTA) et des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS). Quelques ARS ont saisi l’occasion pour encourager un rapprochement des structures existantes et proposer une organisation plus lisible et plus efficace. C’est notamment le cas dans le Grand Nancy, à Paris, en Bretagne, dans les Deux-Sèvres, avec des pionniers tels que l’association gérontologique de Parthenay. Des PTA ont été constituées par rapprochement des différents acteurs, qui déploient une mission d’information, d’évaluation des besoins en santé des populations, de coordination, d'accompagnement, d’animation territoriale, de gestion de situations complexes, ce dans le cadre d’accords entre acteurs, ARS et souvent Conseil Départemental. Mais la généralisation de ces cas particuliers n’est pas pour demain.
Gérard Mick – Dans la région Auvergne Rhône-Alpes, l’ARS semble en situation d’attente de positions nationales, ministérielles. En revanche, en Île-de-France, dans les Hauts-de-France, en PACA, des concertations ont été engagées ou des mesures ont été déjà prises, voir des cahiers des charges de constitution de PTA élaborés par les ARS, avec appels d’offre auprès des acteurs.
Qui est le pilote ?
Gérard Mick – C’est toute la difficulté du processus de convergence engagé. Au moins trois maîtres d’ouvrage ou parties constitutives, les administrations centrales de l’État (DGOS et CNSA avant tout), les ARS, et les Départements, œuvrent aujourd’hui au sein d’un Comité Opérationnel des Parcours (COP**), dont les travaux pourtant déjà engagés ne semblent pas avoir fait émerger des solutions en tout cas éventuellement applicables par tous et au bénéfice de tous.
Les Départements déploient des services de l’autonomie, très impliqués dans les parcours de santé. Ils sont aussi les porteurs d’à peu près la moitié des MAIA et 30% des CLIC sont sous administration départementale. Mais l’Assemblée des Départements de France (ADF), l’interlocuteur de l’État, ne peut en aucun cas défendre une doctrine commune à l’ensemble des départements, libres comme les ARS de leurs choix en matière de politique territoriale. Ainsi, en l’absence de cadre législatif, tout est affaire de négociation à l’échelle régionale et territoriale. Il faut enfin penser également aux communes, qui financent partiellement les CLIC ou mettent à leur disposition des locaux.
Richard-Pierre Williamson - Au plan national, les choses semblent avancer avec l’installation récente du COP. Jusqu’ à maintenant, les administrations centrales jouaient chacune leur partition, en charge et même soutien parfois affirmé de tel ou tel type de structures ou dispositifs : la DGOS pour les réseaux de santé, la DGCS pour les CLIC, la CNSA pour les MAIA, et la Direction de la Sécurité Sociale (DSS) pour les PAERPA. Dans la mesure où les ARS préservent leur liberté d’action dans la conduite des politiques de santé en région, tout comme les Départements qui évoluent aussi au gré de la couleur politique, les orientations de ces administrations centrales n’ont pas toujours un relais sur terrain. D’où la nécessité d’évoluer à tous les niveaux pour que le décloisonnement de l’appareil d’État et la cohérence des politiques soient une réalité et portent leurs fruits localement, notamment dans le domaine des parcours de santé, priorité du gouvernement avec le plan Ma Santé 2022. Et c’est un enjeu crucial permettant aussi de capitaliser les acquis des acteurs de terrain.
Y-a-t-il un modèle de référence ?
Gérard Mick – Vouloir imposer, sur l’ensemble des territoires, un modèle unique de coordination des services en santé et en particulier d’appui à la coordination ou de gestion des situations complexes ne serait pas logique et serait voué à l’échec. La première réalité à prendre en compte, c’est la diversité des territoires, aussi bien sur les plans démographique, économique et social, que sur le plan de l’offre en santé. Comment organiser la coopération interprofessionnelle selon un même modèle dans des territoires au sein desquels les médecins généralistes deviennent une denrée rare ou dans des centres urbains disposant de plusieurs établissements de santé publics et privés avec plusieurs milliers de praticiens en activité ? Le deuxième point clé, c’est la diversité des politiques des Départements : certains soutiennent les CLIC, d’autres non et les CLIC ou leurs missions sont parfois intégrés aux services du Département, alors qu’ils fonctionnaient en gestion autonome, ancrés localement selon un modèle associatif ou portés par une collectivité, avec en leur sein la représentation de nombreux acteurs territoriaux. L’offre de services de coordination est elle-même extrêmement variable selon les territoires, avec parfois toute la palette des dispositifs possibles alors que d’autres territoires n’en ont aucun. Nous sommes favorables à un cahier des charges commun très général, suffisamment souple pour permettre à une organisation collective de se mettre en place dans chaque territoire selon une formule ascendante et de façon spécifique, afin de tenir compte des réalités et priorités de terrain en santé et de tous les acteurs concernés.
Cela fait près de 20 ans que les CLIC existent, est-ce que vous avez rédigé un livre blanc pour faire un bilan de vos actions et mettre en lumière les bonnes pratiques ?
Richard-Pierre Williamson – L’ANC-CLIC a réalisé deux états des lieux (2010 et 2017), avec le soutien financier de la CNSA et de la DGCS. Mais les décideurs institutionnels s’en sont-ils vraiment inspiré ? Nous avons également recensé ce que nous avons appelé les « bonnes pratiques inspirantes » contribuant à l’optimisation des parcours des personnes accompagnées. Ces pratiques sont en ligne sur le site internet de notre association. Mais s'en inspire-t-on au niveau de l'Etat ? Il s’agit aujourd’hui d’affirmer (comme l’ANAP l’a très bien décrit) les missions prioritaires d’information, d’orientation, de coordination et d’accompagnement exercées par les CLIC, (ou dispositif assimilé quel que soit son appellation), concourant aux missions des PTA : les volets social et médico-social, (qu'incarnent les CLIC, les CCAS etc) étant deux piliers indispensables et complémentaires au sanitaire.
Quelle place pour les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) dans ce paysage ?
Gérard Mick - Les MSP sont un acteur clé en territoire, mais elles ne peuvent porter toutes les missions à déployer en ambulatoire. Dans leur matrice de maturité, qui constitue en quelque sorte leur feuille de route évolutive étape par étape, les acteurs des MSP ont une mission de coordination des parcours de leurs patients, en proximité, en lien avec les autres intervenants. Les MSP sont donc des partenaires à part entière de la réflexion pour la convergence. Elles n’ont cependant pas forcément vocation à porter la structure d’appui aux parcours ou la PTA de leur territoire. C’est la CPTS qui devrait avoir cette mission, dès lors qu’elle opère en gouvernance partagée et capitalise sur l’existant (notamment avec les dispositifs de coordination qui préexistent). Et il faudra qu’elle œuvre à l’articulation avec les services des Départements, et avec les dispositifs MAIA qu’ils portent…
Vous avez annoncé en avril dernier la création de la Fédération nationale des dispositifs de ressources et d’appui à la coordination des parcours en santé (FACS). Dans quel but ?
Richard-Pierre Williamson - Avec les réformes en cours, il est indispensable pour les acteurs directement concernés d’être pro-actifs, en dialogue constant, d’avancer de façon unie et concertée afin de pouvoir peser face aux décisions des pouvoirs publics. C’est bien sûr l’objectif du rapprochement entre nos différentes organisations nationales et régionales, avant tout l’UNR.Santé, l’ANC-CLIC, la Fédération Nationale des Réseaux de Santé des Troubles du Neurodéveloppement et des Apprentissages de l’enfant (FNRS-TNA), l’Union des Réseaux et des dispositifs de coordination de Bretagne (l’URSB), vite rejoints par d’autres fédérations régionales de réseaux de santé ou dispositifs de coordination (Auvergne Rhône-Alpes, Hauts de France, Nouvelle Aquitaine, Occitanie, Océan Indien, entre autres).
Gérard Mick - L’une de nos missions est également de valoriser acquis et savoir-faire, en s’impliquant dans la formation aux métiers et compétences pour la coordination des parcours. A notre initiative, des Universités s’engagent aujourd’hui pour organiser des cursus dédiés, y compris pour le management des dispositifs de coordination en convergence, à un niveau Master.
Pour en savoir plus sur les sigles utilisés dans cet article - ANAP, ARS, CLIC, CNSA, CPTS, DGCS, DGOS, MAIA, MSP, PAERPA, DSS, PTA -consultez notre glossaire.
*Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé - Article 74 – « Des fonctions d’appui à la prise en charge des patients relevant de parcours de santé complexes sont organisées en soutien des professionnels de santé, sociaux et médico-sociaux par les agences régionales de santé, en concertation avec les représentants des professionnels et des usagers. Elles contribuent à prévenir les hospitalisations inutiles ou évitables ainsi que les ruptures de parcours…(article L6327-1 du Code de la santé publique). Pour assurer l’organisation des fonctions d’appui…, l’agence régionale de santé peut constituer, par convention avec un ou plusieurs acteurs du système de santé, une ou plusieurs plates-formes territoriales d’appui à la coordination des parcours de santé complexes » (article 6327-2 du CSP).
** Le Comité Opérationnel Parcours (COP) regroupe les directions générales du Ministère chargé des affaires sociales, la CNSA… : DGS (Direction générale de la santé), DGOS (Direction générale de l’offre de soins), DGCS (Direction générale de la cohésion sociale), SGMS (Secrétariat général des ministères sociaux), DSS (Direction de la sécurité sociale), DREES (direction des statistiques), CNSA (Caisse nationale de solidarité et d’autonomie). Ce comité se réunit notamment autour de thématiques telles que : coordination entre dispositifs, fongibilité des financements, modèles économiques, formation, référentiel des missions…